Reine, dans son appartement à Nanterre (Hauts-de-Seine), qu’elle partage avec une autre femme, et une famille avec quatre enfants.

Sur son lit défait, dans sa chambre aux volets encore fermés, trône un énorme ours en peluche blanc délavé. Reine le prend et le serre contre elle, comme elle prendrait un enfant. « Je l’ai acheté pour ma fille, la plus petite. Il était trop gros pour que je le lui envoie, alors je l’ai gardé. C’est devenu mon doudou », souffle-t-elle dans un rire nerveux.

Son visage encore enfantin est encadré par un filet qui retient ses cheveux noirs, tranchant avec le jaune ocre de son boubou. La femme de 30 ans est ivoirienne. Elle dit avoir fui un mariage forcé, laissant à une tante ses deux filles, âgées aujourd’hui de presque 6 ans et 3 ans.

C’était il y a deux ans. Deux années durant lesquelles elle a dû oublier ce dont elle avait rêvé — « un eldorado » — pour affronter un « enfer ». « Je ne m’attendais pas à cette galère », raconte-t-elle en baissant la tête, gênée. Aujourd’hui, elle bénéficie de la protection subsidiaire, travaille, commence à se (re)construire une vie. Et pose un regard rempli de fierté sur son parcours : « Il faut beaucoup de courage pour en arriver là. Souvent, je me suis demandé ce que j’étais venue chercher. Finalement, le seul bon moment, c’est dans l’avion. Une fois que tu atterris, c’est l’enfer. »

Le « vrai parcours du combattant »

« L’enfer » commence en novembre 2014, lorsque Reine décide de « fuir ses problèmes » à Abidjan, et s’achète un aller simple pour la France, le « pays des droits de l’homme », dit-elle en levant les bras, mi-ironique, mi-amère. L’arrivée à Paris est brutale, loin de ce qu’elle s’était imaginé, loin aussi de ce qu’elle avait « vu à la télé. Une tout autre réalité »

Dans un premier temps, Reine loge à Franconville, dans le Val-d’Oise, chez une amie qui a accepté de l’accueillir à son arrivée. Mais au bout de quelques mois, une fois la demande d’asile déposée auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), elle doit quitter son amie. Cette dernière, sur le point d’accoucher, n’a plus la place de l’héberger dans son logement déjà trop petit.

C’est alors que commence ce que Reine appelle le « vrai parcours du combattant ». Pendant quelques mois, elle loge à droite à gauche, parfois pour une nuit seulement, grâce à la solidarité et au bouche-à-oreille, son sac pour unique bagage. Jusqu’à ce qu’elle se retrouve à la rue, avec pour seul revenu l’allocation de demandeur d’asile, soit 11 euros par jour.

« Quand j’ai vu tous les gens qui n’avaient pas de toit, qui n’avaient rien pour manger, je me suis dit : “C’est pas possible de voir ça en France !” », se rappelle-t-elle. C’est probablement ce qui l’a le plus marquée. La jeune femme passe alors quelques nuits chez un marchand de sommeil à Château-Rouge, dans le 18e arrondissement de Paris, qui lui loue une place dans un dortoir insalubre pour quelques dizaines d’euros. « Chaque jour je me disais : “Ce soir j’ai un toit pour dormir, mais demain ?” »

Comme d’autres, elle appelle le 115 pour bénéficier d’un hébergement d’urgence. En vain. « Soit la ligne était saturée et ça ne répondait pas, soit ils n’avaient pas de place », soupire-t-elle d’un air entendu. Reine se tourne alors vers France terre d’asile (FTA), association d’aide aux demandeurs d’asile. « Pendant trois jours, j’ai fait la queue dans le froid de 4 heures du matin à 9 h 30, heure d’ouverture des locaux, pour être sûre d’être reçue », raconte-t-elle. L’association lui propose un lit dans une chambre à partager avec deux autres personnes dans un hôtel du 11e arrondissement, où elle reste quelques mois.

Plus d’un an après son arrivée en France, la jeune femme obtient finalement une place dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), dans le 13e arrondissement. L’appartement de quatre chambres accueille alors huit femmes, toutes réfugiées ou demandeuses d’asile, venant d’Afrique ou d’Asie.

« L’attente dans le vide »

« L’enfer » qu’évoque Reine prend alors un autre aspect. Si la question, critique, du logement est désormais derrière elle, s’ouvre une période d’attente et de désœuvrement. Sa demande d’asile ayant été rejetée une première fois, Reine a formé un recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), à laquelle son avenir en France est suspendu. « Le pire, c’est l’attente dans le vide, ne pas savoirSe demander ce qui va se passer à la fin de tout ça, si deux ans de ta vie ont été perdus pour rien ou pas », se souvient-elle en serrant son ours en peluche encore un peu plus fort.

Sans formation — elle vivait de petits boulots en Côte d’Ivoire —, la jeune femme n’arrive pas à trouver du travail. Elle commence toutefois des cours du soir pour devenir aide à la personne. Le reste de la journée, elle ne fait rien ou presque. « Avec 300 euros par mois, tout passe dans la nourriture, le téléphone et les transports pour les rendez-vous administratifs », décrit-elle résignée. Dans ce contexte sans horizon, c’est la télévision qui sert de fenêtre. Quitte à se restreindre en nourriture, Reine décide d’acheter un téléviseur pour tuer le temps, « oublier ses problèmes » et éviter de « devenir folle » à force d’ennui.

La vie s’organise alors autour des programmes télévisés. Tout au long de la journée, les chaînes d’information en continu alternent avec les émissions favorites de chacune de ses colocataires de passage, alimentant les conversations. Puis, quand elle n’a pas cours, vient l’heure du JT, le « 20 Heures » de France 2, suivi d’un téléfilm. Les journées passent et se ressemblent.

« Le soulagement, enfin »

« L’enfer » se termine « enfin » en septembre 2016, près de deux ans après son arrivée. La CNDA lui accorde la protection subsidiaire, estimant qu’elle serait exposée à une menace grave en cas de retour dans son pays. Cette protection internationale lui permet notamment d’obtenir une carte de séjour d’une durée de validité d’un an, renouvelable chaque année si les circonstances ayant justifié l’octroi de la protection sont inchangées ou n’ont pas suffisamment changé pour garantir son arrêt.

Après cinq ans de séjour régulier en France, Reine pourra demander une carte de résident valable dix ans et renouvelable. Cette protection lui donne également accès au marché du travail et aux droits sociaux dans les mêmes conditions qu’un réfugié statutaire. En 2016, 9 531 personnes ont obtenu cette protection internationale, selon les dernières données de l’Ofpra.

Un nouvel horizon s’ouvre alors à elle, esquissant un avenir palpable. La jeune femme a trouvé du travail parallèlement à sa formation. Elle effectue des remplacements en tant qu’auxiliaire de vie auprès de personnes âgées. « Je me sens utile, je leur apporte de la joie. Dès qu’elles entendent sonner, elles ont le sourire », explique-t-elle, rayonnante. Puis, catégorique : « Je ne suis pas venue ici pour m’asseoir et vivre des allocations. Nous, les Africains, on n’est pas habitués à ça chez nous. On est habitués à gagner notre vie à la sueur de notre front. »

Reine a également déménagé. En décembre 2016, en tant que bénéficiaire de la protection subsidiaire, elle a obtenu une place dans un appartement à Nanterre (Hauts-de-Seine) grâce au dispositif provisoire d’hébergement des réfugiés statutaires (DPHRS). Elle partage désormais sa chambre avec une autre femme, et l’appartement avec une famille — deux parents et leurs quatre enfants. Et paie pour la première fois une petite partie du loyer, grâce au revenu de solidarité active (RSA), auquel elle a désormais droit.

Pour la première fois, la jeune femme se projette dans l’avenir. « L’enfer, c’est terminé. L’eldorado, c’est pour après », assure-t-elle. Quand elle aura fini sa formation, en juin, et trouvé un travail stable. Quand elle aura, aussi, emménagé dans un appartement à elle et retrouvé ses deux enfants, pour lesquels elle a demandé une réunification familiale. Le chemin est encore long, mais l’espoir a repris le dessus. En évoquant le futur, elle a remis son ours en peluche dans un coin de son lit.