Alejandro Valverde a remporté pour la cinquième fois le Tour d’Andalousie, atteignant ainsi le total de 100 victoires professionnelles. | JORGE GUERRERO / AFP

Au moment de remercier ceux qui l’ont aidé à atteindre le cap des 100 victoires professionnelles, Alejandro Valverde a cité tout le monde : sa famille, ses directeurs sportifs depuis le berceau, ses coéquipiers, masseurs, mécaniciens. Il a oublié son premier médecin dans le monde professionnel, Eufemiano Fuentes. Ce doit être l’âge.

A 36 ans, Alejandro Valverde, en remportant le Tour d’Andalousie dimanche, a rejoint le club fermé des « centenaires », avec cette particularité de ne pas être un sprinteur pur. Les trois autres coureurs encore en activité à plus de 100 victoires sont Mark Cavendish, Andre Greipel et Tom Boonen.

Performance remarquable : elle traduit sa longévité, sa capacité à être au sommet chaque année, neuf mois sur douze, sa science tactique. « El Imbatido » (L’Invaincu) a résolu la quadrature du cercle du sport cycliste : il a conservé sa vitesse de pointe en devenant grimpeur endurant et excellé en contre-la-montre tout en restant suffisamment léger pour s’imposer quatre fois dans La Flèche Wallonne, au sommet du Mur de Huy. Ajoutez une Vuelta, trois Liège-Bastogne-Liège, deux Critériums du Dauphiné, 14 étapes dans les Grands Tours. Le palmarès de Valverde est « merckxien ».

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Pourtant, personne dans le peloton ne s’est pressé pour baiser la main du seigneur sur les réseaux sociaux, où les coureurs font d’ordinaire assaut de compliments. Seule une partie de la presse s’est pâmée d’admiration. Qu’importe que ses récits d’après-course manquent autant de sel que ses victoires.

« Piti »

Il semble que le peloton ait davantage de mémoire. Et garde en tête que, derrière « El Imbatido » au sang froid se cache le « Piti » au sang congelé : son surnom dans les fichiers du docteur Fuentes, saisis dans le cadre de l’opération Puerto en 2006. « Piti », son berger allemand dont il nia un jour l’existence devant le Tribunal arbitral du sport (TAS) pour tenter de convaincre de son innocence.

Pourtant, un article de la presse espagnole, avant l’affaire Puerto, décrivait les bons moments passés avec son chien Piti ; et, surtout, la police italienne avait fait le travail que son homologue espagnole n’avait pu faire, à l’époque – faute de loi antidopage.

Lors du passage du Tour de France 2008 en Italie, le Comité olympique italien (CONI) avait pratiqué un contrôle sanguin sur Valverde, en avait extrait l’ADN et l’avait comparé à celui de la poche de sang n° 18, saisie par la justice espagnole. Les deux correspondaient. Il fut suspendu, d’abord en Italie en 2009, puis dans le monde entier entre mai 2010 et janvier 2012, sur décision du TAS.

Avant cela, il avait longtemps eu de la chance : son nom n’avait pas immédiatement filtré, ce qui lui avait permis de prendre le départ du Tour 2006, contrairement à plusieurs autres favoris. Il devenait de facto prétendant à la victoire jusqu’à sa fracture de la clavicule sur chute, dès la troisième étape. Pendant que le reste de la patientèle du docteur Fuentes était empêché de courir soit par son équipe, soit par des autorités nationales plus entreprenantes que l’Espagne (Allemagne, Italie), il dominait le classement mondial et remportait une médaille aux championnats du monde.

Entre déni et mutisme

Eufemiano Fuentes, gynécologue à Las Palmas (Canaries), conseiller sportif à Madrid. | AFP/DANI POZO

Sur les bons soins du docteur Fuentes, Valverde a toujours oscillé entre déni et mutisme. Lorsque sa suspension fut terminée, il n’eut aucun mal à retrouver un contrat dans son ancienne équipe, la Caisse d’Epargne, devenue Movistar. « Je n’ai rien fait de mal. J’ai toujours respecté la loi et j’ai la conscience tranquille », dit-il en reprenant la compétition. Soit il niait l’évidence scientifique, soit il laissait entendre qu’il n’y avait rien de mal à subir des transfusions sanguines.

Après cette déclaration liminaire, Valverde a continué de prendre son salaire et de gagner des courses, sans même chercher à sauver la face publiquement. Il n’a pas fait semblant d’avoir baissé de niveau. Il n’a pas joué la mélodie du repenti et a endossé, à chaque question sur l’affaire Puerto, le costume de victime.

Le fait qu’il gagne encore régulièrement est, pour le cyclisme, un utile rappel des heures sombres. En fin de saison, son contrat avec Movistar arrivera à échéance mais il n’a rien dit, pour l’heure, de ce qu’il entendait faire par la suite.

Les profils ADN de l’affaire Puerto reconstitués

Il aura réalisé l’exploit de prolonger sa carrière au-delà de la conclusion de l’affaire Puerto, dont les dernières gouttes de sang devraient parler dans les prochaines semaines.

Depuis juillet 2016, l’Agence mondiale antidopage (AMA) est en possession des poches de sang, après que la justice espagnole a, enfin, ordonné qu’elles lui soient remises, plus de dix ans après leur saisie dans l’un des bureaux du docteur Fuentes.

Elles ont attendu plusieurs mois à Lausanne, l’AMA étant davantage préoccupée par la question du dopage en Russie. Ces dernières semaines, selon une source à l’Agence mondiale antidopage, le laboratoire a procédé à l’extraction de l’ADN de ces poches de sang. Il faut maintenant mettre des noms sur ces 36 profils ADN – ce qui prendra encore du temps.

De plus, comme l’a souligné l’ancien directeur général de l’AMA David Howman, interrogé la semaine dernière par le quotidien espagnol El Pais, il n’est pas certain, pour des raisons juridiques, que les noms de ces clients d’Eufemiano Fuentes (dont la plupart sont déjà connus) puissent être rendus publics.