Pendant deux jours, l’Equatorien Lenin Moreno a caressé l’espoir d’être élu dès le premier tour du scrutin présidentiel, dimanche 19 février. Pendant deux jours, le chef de l’Etat, Rafael Correa, a lui aussi espéré la victoire de son dauphin. Il s’était exprimé en public en ce sens. La continuité de sa « révolution citoyenne » engagée en 2007 est en jeu.

Le candidat avait besoin de 40 % des voix et de plus de dix points d’avance sur son principal adversaire. Il en a obtenu 39,3 %. Le résultat annoncé mardi 21 février porte sur 98 % du total des bulletins. « La tendance est irréversible », a indiqué le président du Conseil national électoral (CNE), Juan Pablo Pozo. Le suspense est donc levé, il y a ballottage. Pendant deux jours, l’opposition n’avait cessé de crier à la menace de fraude.

Le CNE doit encore annoncer le résultat du scrutin législatif – les 137 sièges de l’Assemblée nationale unicamérale sont à pourvoir – et d’un référendum sur la possibilité d’interdire aux fonctionnaires et aux élus de détenir des avoirs dans un paradis fiscal. Rafael Correa disposait d’une large majorité parlementaire, il n’est pas assuré de la conserver.

L’opposition s’inquiète de voir M. Correa continuer à tirer les ficelles

Le second tour de la présidentielle se tiendra le 2 avril, et rien n’est joué. Six semaines séparent les deux scrutins : autant dire qu’une autre élection et une autre campagne commencent. Lenin Moreno affrontera Guillermo Lasso (droite) qui a obtenu 28,2 % des suffrages. Le ballottage est une victoire pour cet ancien banquier, qui se présentait pour la deuxième fois sous la bannière de CREO, le parti qu’il a créé.

Charismatique et contesté, avec une économie en récession, Rafael Correa avait renoncé à faire modifier la Constitution pour pouvoir se représenter immédiatement. Lenin Voltaire Moreno a été son vice-président de 2007 à 2013. Les deux hommes ne se ressemblent pas. Le président sortant a la repartie rapide et l’insulte facile. Son dauphin, toujours affable, a le ton doux et pratique le dialogue en toutes circonstances. Mais l’opposition s’inquiète de voir M. Correa continuer à tirer les ficelles du pouvoir.

« Lenin et Rafael s’apprécient et se respectent, aussi bien sur le plan politique que sur le plan personnel, affirme Maria Fernanda Espinosa, ancienne ministre des relations extérieures et porte-parole de la campagne de M. Moreno. Mais quand Lenin sera élu, c’est lui qui sera président. N’en doutez pas. »

« Invalide ne veut pas dire incapable »

L’opposition équatorienne voit dans les problèmes de santé du successeur potentiel de M. Correa un signe supplémentaire de faiblesse. Victime d’une attaque à main armée et d’un tir à bout portant, en 1998, M. Moreno est paraplégique. Il se déplace en fauteuil roulant. La douleur le mortifie encore, dit-on. Pour la déjouer, il a cherché une thérapie dans l’humour. Sa biographie officielle indique qu’il est l’auteur de plusieurs ouvrages d’épanouissement personnel : Théorie et pratique de l’humour. Les meilleures blagues du monde (non traduits).

« L’exercice du pouvoir est éprouvant », insiste l’opposant Mauricio Pozo. Comme d’autres, il juge que M. Moreno devrait publier son dossier médical. « J’ai vu Lenin travailler vingt heures par jour, pendant toute la campagne, sans jamais montrer le moindre signe de fatigue », réplique Mme Espinosa. Et de rappeler que Franklin Delano Roosevelt a gouverné et gagné la seconde guerre mondiale en fauteuil roulant.

« Invalide ne veut pas dire incapable », aime à rappeler le candidat. Alors qu’il était vice-président, M. Moreno a fait sienne la cause des handicapés. Son action en faveur « des plus oubliés entre les oubliés » lui a valu d’être nommé, en 2013, envoyé spécial pour le handicap et l’accessibilité par le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon.

Marié depuis quarante ans, père de trois filles, M. Moreno est originaire de la province d’Orellana (est), près de la forêt amazonienne. Il y a passé ses premières années, avant que ses parents, instituteurs, partent vivre à Quito. Après des études de gestion publique, il devient professeur de lycée, puis lance son entreprise de tourisme. C’était un parfait inconnu quand il est devenu vice-président. Son deuxième prénom, orthographié « Boltaire » sur son acte de naissance, a été corrigé – présidentielle oblige.

La campagne pour le second tour s’annonce ardue. Dès mardi, Guillermo Lasso a appelé à l’unité des « 61 % des Equatoriens qui ne veulent pas de la continuité ».