LA LISTE DE NOS ENVIES

La fiction est à dominante américaine cette semaine, sur une note épouvantable et tragique. Psychopathie et séquestration avec M. Night Shyamalan. Amers portraits de femmes dans l’Amérique rurale désagrégée de Kelly Reichardt. Ségrégation raciale et profondeur historique avec l’acteur et réalisateur Denzel Washington.

On n’en perdra pas de vue pour autant un excellent et terrifiant documentaire sud-coréen sur une femme vendue à son mari chinois, et le festival Hahaha en Saint-Denis qui nous invite, grâce lui soit rendue, à rire un peu.

SHYAMALAN, MAÎTRE DES MASQUES ET DE LA PEUR : « Split »

Split Official Trailer 1 (2017) - M. Night Shyamalan Movie
Durée : 02:31

Gros retour de M. Night Shyamalan avec ce film d’épouvante bien troussé, bien senti. Kevin, son héros maléfique, regroupe à l’insu de son plein gré une holding de vingt-quatre personnalités, qui prennent quand bon leur chante le contrôle des opérations identitaires.

Traité par la consciencieuse docteur Fletcher, ce garçon très peuplé en lui-même cache soigneusement à la spécialiste la vingt-quatrième. Et pour cause : il s’agit d’un psychopathe qui a pris le contrôle de la maison Kevin, après avoir subordonné à sa cause la majorité des copropriétaires. Le résultat de cette cachotterie, subodorée par la doctoresse, mais connue du spectateur, est que trois fraîches et belles adolescentes croupissent dans une sorte de boyau souterrain, à la merci d’un sacrifice imminent.

Au passage, Shyamalan aura prospecté ses motifs de prédilection : le secret, l’identité, l’illusion et la capacité du cinéma à les distribuer éperdument. Jacques Mandelbaum

« Split », film américain de M. Night Shyamalan. Avec James McAvoy, Anya Taylor-Joy, Haley Lu Richardson, Betty Buckley (1 h 57).

TROIS PORTRAITS DE LA DÉSAGRÉGATION AMÉRICAINE : « Certaines femmes »

Certaines Femmes - Bande Annonce VOST
Durée : 02:03

Le récit, inspiré de trois nouvelles de l’écrivaine du Montana Maile Meloy, dresse côte à côte les magnifiques portraits de trois femmes, sculptés dans la matière même du quotidien.

La première, Laura Wells (Laura Dern), est une avocate aux prises avec un client collant, entêté dans l’idée de traîner en justice un ancien employeur l’ayant licencié après un accident du travail. La deuxième, Gina Lewis (Michelle Williams), mère de famille, se pique de construire une maison avec les vestiges d’une école d’antan gisant sur la propriété d’un vieux fou. Enfin, la troisième, Jamie (Lily Gladstone), palefrenière d’origine indienne, noue une relation hasardeuse avec Beth (Kristen Stewart), une jeune juriste débordée par la précarité.

Leurs histoires se succèdent indépendamment, n’ayant entre elles qu’une communauté de lieu et de temps, hormis une poignée de personnages secondaires qui circulent de l’une à l’autre. Reichardt ne vise pas tant à faire converger artificiellement leurs destinées qu’à saisir le morcellement de l’Amérique rurale et le désenchantement des vies qui l’habitent.

L’ensemble dessine pas à pas le profil d’un pays gelé où les cœurs hibernent résignés, chacun dans sa tanière, dans l’attente d’un nouveau printemps du monde. Mathieu Macheret

« Certaines femmes », film américain de Kelly Reichardt. Avec Laura Dern, Michelle Williams, Lily Gladstone, Kristen Stewart, Jared Harris, James Le Gros (1 h 47).

LES ANNÉES 1950 VUES PAR UN ÉBOUEUR NOIR DE PITTSBURGH : « Fences »

Fences Official Trailer 1 (2016) - Denzel Washington Movie
Durée : 01:51

Quand on aime le blues, ces figures sont familières : l’homme qui se tient à un carrefour où le diable lui donne la voie à suivre, la femme que l’on va voir en passant par l’entrée de service, le père qui a manqué. Fences les adapte dans une pièce de théâtre écrite par le dramaturge August Wilson, qui est aujourd’hui un film réalisé et joué par Denzel Washington.

Et si l’interprète de Malcolm X et de Training Day n’est pas aussi grand réalisateur qu’acteur, il a accompli l’essentiel : faire entendre une parole longtemps étouffée, incarner ceux et celles qui la profèrent. En l’occurrence, une famille ouvrière de Pittsburgh (Pennsylvanie), les Maxson, dominée par le patriarche Troy (Washington).

Ce quinquagénaire, ex-joueur de baseball empêché par sa couleur de peau, fait vivre sa famille en travaillant au service d’enlèvement des ordures de la ville. Il passe ses journées accroché à la benne et rêve de monter un jour dans la cabine pour conduire le camion, un emploi jusque-là, on est en 1957, réservé aux Blancs. Fort de son expérience shakespearienne, l’acteur-réalisateur lui donne une dimension épique : cet éboueur est aussi l’incarnation de l’épopée tragique de tout un peuple. Thomas Sotinel

« Fences », film américain de et avec Denzel Washington, avec Viola Davis, Russell Hornsby, Jovan Adepo, Stephen Henderson (2 h 19).

DÉCHIRANT DESTIN : « Madame B, histoire d’une Nord-Coréenne »

MADAME B, HISTOIRE D'UNE NORD-CORÉENNE Bande Annonce (Documentaire - 2017)
Durée : 02:13

On ne pourra pas reprocher à ce documentaire son style brut de décoffrage, à l’arrache même. C’est la forme qu’imposait son sujet, la vie de Madame B. Cette Nord-Coréenne a été vendue à son insu comme épouse à un chinois alors qu’elle venait clandestinement chercher du travail pour subvenir aux besoins de sa famille. Devenue passeuse et trafiquante en Chine elle s’apprête, après avoir réussi à exfiltrer ses enfants en Corée du Sud, à les rejoindre.

La force du film tient à la tension qu’il instaure entre le tableau cataclysmique des conditions de vie de ces migrants d’Asie extrême et la personnalité fascinante de son personnage, bloc de volonté qui oppose aux coups de massue du destin un désir de vivre dévorant, et une capacité de résilience qui laisse pantois. Isabelle Regnier

« Madame B, histoire d’une Nord-Coréenne », documentaire français de Jero Yun. (1 h 11)

JOURNÉES CINÉMATOGRAPHIQUES DIONYSIENNES : « Hahaha »

STEAK : LA BANDE ANNONCE
Durée : 01:25

L’époque n’est pas au rire. Un chaleureux remerciement, donc, à Hahaha, ce très bon festival de Saint-Denis, qui pour sa dix-septième édition nous propose de nous relaxer un peu, en soixante-dix films drôles mais engagés et grâce à de nombreux invités qui devraient ne pas l’être moins.

Au programme, en films et en os, Eric Judor, Michel Hazanavicius, Jean-Pierre Mocky, Bruno Podalydes, Whit Stillman, Benoît Forgeard, Noël Godin, Jean Odoutan, Otar Iosseliani. Au rayon découvertes : le rire cinématographique en Iran, au Bénin, au Japon ou dans la défunte Union soviétique. Un voyage a priori aussi érudit qu’affriolant. J. Ma.

Au cinéma L’écran, Place du Caquet, 93 200, Saint-Denis. ww.w.dionysiennes.org. Du 22 au 28 février