Andy Shauf était en concert au Café de la danse à Paris, le 21 février 2017. | ANTI.COM/CAFÉ DE LA DANSE

Andy Shauf peut prêter à méprise. Le chanteur et multi-instrumentiste canadien a intitulé The Party son troisième album, le premier distribué internationalement, et ceux qui attendaient, avec un tel énoncé de programme, une célébration de la fête ont rapidement déchanté. En guise de voix d’alien trafiquée à l’auto-tune et de beats abrutissants, leur antidote : un bouquet de chansons boisées d’une infinie délicatesse, renouant avec l’art du songwriting tel qu’il se pratiquait à l’aube des années 1970. Hier encore inconnu, le jeune homme du Saskatchewan, cette province des prairies immense et à peine peuplée, est devenu en 2016 un chouchou des critiques. En raison d’une voix refusant le passage en force, ceux-ci n’ont pas manqué de voir en lui le successeur du regretté Elliot Smith, influence revendiquée par l’intéressé. Ses ballades ne laissent pourtant en rien entendre cette souffrance dépressive qui caractérisait celles de l’introverti de l’Oregon, mort en 2003 à l’âge de 34 ans.

Lire notre sélection d’albums pour 2016 : Nos tympans font le bilan

Andy Shauf - "The Magician"
Durée : 03:52

Avec sa mine timide, parfois de chien battu, Andy Shauf semble cependant aussi à l’aise sur scène que pouvait l’être le disparu. Il y avait quelque ironie, encore, à le programmer, mardi 21 février, au Café de la danse (500 places), mal nommé pour la circonstance. Parmi le public, son patronyme francisé prête forcément à de douteux jeux de mots pour indiquer qu’il est tout sauf un chauffeur de salle. Signe de sa cote ascendante, le concert a rapidement affiché complet alors que le musicien s’était produit précédemment à Paris pour des premières parties ou dans des bars, généralement non accompagné.

Andy Shauf - "Quite Like You"
Durée : 03:26

Après avoir humblement prêté main forte aux techniciens pour l’installation du matériel, le revoilà sous la poursuite, visage pâle flanqué d’une longue tignasse à l’indienne. Comme une résurgence anachronique de la vague grunge qui secouait les campus américains au début des années 1990. Sauf que son apparition n’annonce pas le passage d’un troupeau de bisons. Pour The Party, Shauf, après avoir échoué dans une expérience de groupe, a fini par jouer en autodidacte de tous les instruments, à l’exception des cordes, recherchant l’innocence perdue du Pet Sounds des Beach Boys – cet Everest de la pop chambriste. Il lui a fallu réarranger ses créations puisqu’il est entouré en tournée d’un quartette pour le moins insolite : à la section rythmique ont été adjointes deux clarinettes.

Andy Shauf - "Eyes of Them All" (Full Album Stream)
Durée : 03:55

Tranches de vie sur le vif

En conteur, Shauf impose aussitôt le silence pour dérouler ses tranches de vie saisies sur le vif, inspirées de novellistes américains comme Raymond Carver. Les personnages de la bourgade plus ou moins imaginaire de The Party font face à la banalité du quotidien, aux secrets locaux et aux affres existentielles. Il y a la fille qui danse seule dans son salon (Eyes of Them All), cette autre qui évoque pour le narrateur le souvenir de l’ex (Martha Sways, sublime torch song). Shauf laisse respirer son doux chant dans le murmure et même le silence. Ses acolytes œuvrent aussi dans la dentelle : pendant que les bois harmonisent, le pied droit du batteur semble actionner une sourdine plutôt qu’une pédale de grosse caisse, le bassiste joue tout en élasticité et rebond, à la manière de Tim Drummond sur le Harvest de Neil Young.

Andy Shauf - "Martha Sways" (Full Album Stream)
Durée : 04:20

Malgré sa carrière naissante, l’« outsider » ne propose pas la moindre reprise

En quittant sa cabane en rondins pour s’exposer à la lumière, Shauf avait probablement conscience que ses chansons étaient plus grandes que lui. La stature de showman est pour lui hors de portée, ce qui le relie aussi à d’autres grands anciens comme Brian Wilson ou Harry Nilsson, qui fuyaient la démonstration collective. Quelques discrets remerciements, une étrange interpellation – « des questions ou autre ? » – typique d’une conférence de presse, témoignent de son embarras devant le dialogue. Mais, dans cette ambiance recueillie devant la beauté intemporelle de Twist Your Ankle ou Early to the Party, il a visiblement apprécié la qualité d’écoute. « Ce fut une soirée amusante », glisse-t-il, sourire en coin, sans s’attarder plus d’une heure, ce qui est suffisant. Sans doute pressé d’avoir une œuvre à écrire, après avoir imposé un album de bout en bout consistant – une gageure aujourd’hui.

Andy Shauf - "Twist Your Ankle" (Full Album Stream)
Durée : 03:47

Au jeu du name dropping, on pourrait ajouter la finesse folk de Paul Simon ou la fraîcheur mélodique de Josh Rouse. Si ses compositions ne sont évidemment pas nées ex nihilo, jamais elles ne tombent dans le pastiche, et définissent déjà un style personnel. A tel point que, malgré sa carrière naissante, l’outsider ne propose pas la moindre reprise. Par refus de citer ses sources ? Ou parce que pareilles merveilles ne sauraient s’embarrasser de la moindre concurrence ?

Andy Shauf - "Early to the Party" (Full Album Stream)
Durée : 04:06

Le 22 février à Nancy (L’Autre canal), le 23  à Lyon (Le Marché Gare). Sur le Web : www.andyshauf.com/tourdates