Nicolas Théry, président de la Confédération de la banque mutualiste | DOMINIQUE FAGET / AFP

Après BNP Paribas, Société Générale, BPCE et le Crédit agricole, c’est au tour du Crédit mutuel-CIC de publier ses comptes 2016. Avec un chiffre d’affaires en hausse de 4 %, à 13,3 milliards d’euros, la banque mutualiste affiche un bénéfice net en progression de 7 %, à 2,4 milliards d’euros. Dans un entretien au Monde, Nicolas Théry, président de la Confédération du Crédit mutuel, revient sur la transformation numérique qui modifie la relation client, sur les différends internes avec Crédit mutuel Arkéa et sur le besoin de stabilité réglementaire pour les banques.

BPCE va fermer plus de 400 agences et réduire ses effectifs d’ici à 2020. Comment le réseau du Crédit mutuel va-t-il évoluer dans les prochaines années ?

En tant que banque mutualiste, nous avons une responsabilité en matière d’aménagement d’animation et de développement des territoires, mais nous devons aussi nous adapter à la perte démographique qu’enregistrent certains départements. Les réseaux du Crédit mutuel CM11 et de sa filiale le CIC, comptent aujourd’hui 4 470 agences, c’est 70 caisses et agences de moins qu’en 2014. Mais sur la même période, nos effectifs ont progressé de 4 % à périmètre constant. En 2017, nous aurons une gestion rigoureuse des effectifs, mais nous avons un engagement très fort : pas de plan de départs dans les activités de bancassurance.

En période de taux très bas, quelles activités ont tiré les résultats du Crédit mutuel en 2016 ?

Dans cet environnement de taux bas, la hausse des encours devient vitale. Notre chiffre d’affaires a résisté grâce à la dynamique commerciale : la hausse des encours de dépôts et de crédits, la croissance de l’activité d’assurance auto, habitation et santé et notre diversification dans les services. Aujourd’hui nous vendons et louons des voitures en négociant les prix avec des concessionnaires locaux. Nous avons aussi vendu 8 800 logements en 2016. Nous sommes opérateur télécom avec plus de 1,5 million d’abonnés, en hausse de 50 000.

Et puis nous développons notre activité de protection de la maison et de télésurveillance, qui vient, par exemple, d’être étendue aux risques de fuite d’eau. En 2016, nos revenus ont ainsi progressé de près de 4 %, à 13,3 milliards d’euros et notre bénéfice net est en hausse de 7 %, à 2,4 milliards d’euros.

Comment comptez-vous vous adapter à la révolution numérique ?

La digitalisation de l’économie entraîne une évolution fondamentale du mode de relation avec les clients. Notre objectif est donc qu’à la fin de 2018, tous les clients puissent souscrire à distance à l’essentiel de nos produits. Mais il faut relativiser cette transformation. On peut rester amis dans le monde réel sans être sur Facebook. Ce qui compte avant tout avec le numérique, c’est la simplicité des transactions, la qualité du conseil et la sécurité informatique. Nous investissons chaque année 600 000 jours-hommes dans le développement de nos systèmes. Tout le reste, c’est de la littérature, de la communication.

Vous avez adopté une solution d’intelligence artificielle, le logiciel Watson d’IBM, qui inquiète en interne. Quelles seront les conséquences sur l’emploi ?

Watson est un outil d’intelligence cognitive. Il analyse les e-mails des clients, dégage leur degré d’urgence. Il va améliorer la vie de nos conseillers, car la nouvelle économie, c’est un client qui envoie un e-mail une fois, deux fois, puis qui appelle ensuite. Nous avons testé Watson dans une dizaine de caisses du Crédit mutuel et nous avons recueilli 100 % d’avis positifs. Il n’y a pas eu d’effet « waouh », car l’outil ne révolutionne pas le métier du conseiller. Mais tous les salariés ont trouvé qu’il avait une utilité, car il libère du temps. La technologie est toujours une question de choix social. Oui les tâches répétitives et automatisables vont être touchées, mais en parallèle, les conseillers auront du temps pour leurs clients. Ceux-ci sont demandeurs d’une relation davantage personnalisée avec leur conseiller, et ils sont prêts à la rémunérer s’il y a vraiment une valeur ajoutée. On continue d’investir pour que les caisses locales du Crédit mutuel, les agences CIC et leurs conseillers soient le centre d’une relation physique, téléphonique et numérique avec les clients. Notre enjeu c’est le service.

Où en sont vos relations avec le Crédit mutuel Arkéa, dont les caisses locales ont voté à la quasi-unanimité en faveur de l’indépendance ?

Les événements récents vont tous dans le sens du maintien de l’unité du groupe. Aujourd’hui, sa structure de tête, la Confédération nationale du Crédit mutuel, fonctionne conformément à toutes les exigences. Le Conseil d’Etat a dit le droit en qualifiant de « gesticulations » la politique d’obstruction systématique d’Arkéa. La BCE vient de nous confirmer que la Confédération est son interlocuteur unique. Le texte voté par les représentants des sociétaires d’Arkéa est un amphigouri, il dit tout et son contraire : rester dans le Crédit mutuel tout en le faisant exploser en six groupes distincts. De quoi cette stratégie de vraie-fausse rupture est-elle le nom ? En outre, ce vote représente 334 caisses locales, mais au Crédit mutuel il y a aussi 1 800 caisses locales qui sont favorables à l’unité du groupe, seule option raisonnable.

Le mouvement de dérégulation de la finance défendu par Donald Trump est-il à craindre ?

L’activité bancaire et sa régulation ne se prêtent pas aux Oukases. Il faut trouver une réglementation efficace, qui ne soit ni tatillonne ni brouillonne. Aujourd’hui, je ne vois pas la nécessité d’aller en marche arrière en démantelant la loi Dodd-Frank, votée aux Etats-Unis après la crise financière de 2008. Je ne vois pas non plus l’intérêt d’adopter les règles de « Bâle IV », qui ne vont pas dans le sens de l’intérêt de l’économie européenne ni du renforcement de la solidité des banques. Notre modèle actuel marche bien, ce n’est pas la peine de revenir à « Bâle I » en mettant en place de nouveaux planchers de fonds propres. Une stabilité réglementaire nous ferait du bien à tous.

Les banques ont-elles beaucoup à perdre avec la réforme de l’assurance emprunteur, que le client pourra, à partir du 1er mars, renégocier pendant toute la durée de son crédit ?

Cette réforme est surtout un scandale social, car elle nous fait entrer dans une logique de démutualisation. C’est la prime donnée aux riches, jeunes et bien portants, au détriment des personnes qui ont des difficultés à s’assurer. Il est très regrettable que le législateur ait fait le choix de l’individualisation des risques, au détriment des personnes qui ont les risques les plus lourds.