Depuis 2014, la page Facebook Tom Voltaire Okwalinga (TVO) diffuse des informations sur des personnalités proches du pouvoir ougandais. L’une des cibles préférées de TVO ? L’inspecteur général de la police, le général Kale Kayihura, a été accusé en août 2015, d’avoir « volé 11 millions de dollars aux contribuables dans une négociation portant sur un contrat d’hélicoptères, avec la compagnie polonaise Swidnik ». Autre accusation, dans un enregistrement audio non authentifié, le même général Kayihura est supposé donner un pot-de-vin à un jeune pro-Museveni en pleine campagne présidentielle.

Plus grave, TVO s’en est pris directement au président Museveni, l’accusant en juillet 2015 d’avoir dépensé des fonds ougandais pour armer Salvaa Kiir au Soudan du Sud. Autant d’informations, le plus souvent non vérifiées et non vérifiables, et dont certaines se sont révélées fausses. Ainsi, TVO avait prédit, en octobre 2015, que Museveni ne serait pas candidat à sa succession. Mal lui en a pris, le « Mzee » s’est bel et bien présenté, et a été élu en février 2016.

« Tortures et emprisonnement »

Très rapidement, les services de renseignement se sont mis en quête de savoir qui se cachait derrière ce pseudonyme. Plusieurs personnes ont été interpellées à l’été 2014, puis relâchées après interrogatoire. « Le gouvernement a demandé à de nombreuses reprises à Facebook de fermer le compte TVO, confirme Nicholas Opiyo, un avocat spécialisé dans le domaine des droits humains. Mais Facebook a toujours refusé. »

L’avocat connaît bien le dossier. En juin 2015, un de ses clients, Robert Shaka, a été arrêté et accusé d’être derrière la page TVO. Il est précisément poursuivi pour « communication offensante » au nom du Computer Misuse Act (loi sur la mauvaise utilisation du numérique, adoptée en 2011), et accusé d’être l’homme derrière TVO. Pour Nicholas Opiyo, les autorités n’ont jamais pu prouver son implication « en tant que gestionnaire principal ou même contributeur » de cette page. Il dénonce en outre les irrégularités de procédure, et le traitement qui a été réservé à Robert Shaka après sa remise en liberté sous caution. Interdit de voyager, victime de menaces de mort, « il a dû démissionner de son travail, explique son avocat, et il est reparti dans son village, où il attend les suites de son procès ».

Pendant ce temps-là, TVO a continué à faire parler de lui. La Haute Cour d’Irlande a été saisie en mars 2016, cette fois-ci par un juriste ougandais, Fred Muwema, lui-même accusé par TVO d’être impliqué dans une affaire de pot-de-vin. Il exigeait de la firme de Mark Zuckerberg, dont le siège international se trouve à Dublin, qu’elle révèle le nom du gestionnaire du compte.

La justice irlandaise a finalement tranché, le 21 janvier, en faveur de Facebook, arguant que les risques étaient trop grands pour la ou les personnes concernées par une probable divulgation. Selon Nicholas Opiyo, qui a également assisté Facebook dans ce jugement, cette décision est justifiée : « Au regard de ce qu’a subi Robert Shaka, alors même que rien n’a été prouvé contre lui, on peut largement imaginer ce qui pourrait arriver à TVO s’il était arrêté. Il risquerait de subir des tortures et peut-être une longue durée d’emprisonnement. »

Examen de constitutionnalité

En Ouganda, même si plus de 26 000 personnes suivent la page TVO, l’opinion est divisée. Le compte Facebook n’hésite pas en effet à user de méthodes douteuses à l’encontre de ses détracteurs. Opposé de longue date aux orientations politiques du blog, Andrew Mwenda, journaliste et patron du magazine The Independent, a vu son homosexualité supposée révélée par un post de TVO. Une attaque difficilement excusable, portée rappelons-le dans un pays où les lois sur l’homosexualité sont parmi les plus sévères du monde. Très remonté, Andrew Mwenda dit avoir mené son enquête et a révélé, le 27 janvier qui, selon lui, gère la page TVO. Quatre personnes seraient ainsi impliquées, selon lui, et Robert Shaka serait le leader de ce petit groupe. Des accusations reprises le 18 février à la « une » de son magazine, The Independent, dans une enquête « exclusive » intitulée : « TVO démasqué ». « Je voulais que le public sache qui sont ces psychopathes », explique avec véhémence Andrew Mwenda, qui précise que « l’utilisation de pseudos pour faire de fausses accusations n’est pas du ressort de la liberté d’expression ».

Nicholas Opiyo juge ces nouvelles révélations peu sérieuses, « sans aucune preuve viable » et destinées à « interférer dans la procédure » de son client dont le procès n’est pas fini. Mais il estime que la question centrale est surtout liée à la loi elle-même, qui ne permet pas aux Ougandais de s’exprimer sur des sujets sensibles à visage découvert. Pour cette raison, il a décidé de soumettre la section 25 du Computer Misuse Act concernant la « communication offensante », au nom de laquelle sont client est poursuivi, à un examen de constitutionnalité. Si la Cour va dans son sens, alors le procès contre Robert Shaka prendra définitivement fin, et les Ougandais auront gagné un espace de liberté supplémentaire.