Rex Tillerson est accueilli par l’ambassadrice des Etats-Unis à Mexico, le 22 février 2017. | PEDRO PARDO / AFP

Le président mexicain, Enrique Peña Nieto, joue gros en rencontrant, jeudi 23 février à Mexico, le secrétaire d’Etat américain, Rex Tillerson, et le secrétaire à la sécurité intérieure, John Kelly, en pleine crise diplomatique entre les deux pays. Migration, sécurité et commerce, sont au programme de cette première visite officielle au Mexique de hauts fonctionnaires américains depuis l’entrée en fonction, le 20 janvier, de Donald Trump.

« Le Mexique n’accepte d’aucun pays des impositions migratoires », a déclaré, mercredi 22 février, M. Peña Nieto. La veille, le Département américain de la sécurité intérieure a publié deux directives, précisant les modalités d’application de deux décrets présidentiels, datés du 25 janvier, qui visent à accélérer les expulsions de clandestins aux États-Unis, dont 5,7 millions sont Mexicains. Cette annonce a pris, mardi, une tournure tragique avec le suicide d’un sans-papier mexicain qui s’est jeté du haut d’un pont de la ville frontalière de Tijuana, juste après son expulsion des États-Unis.

Expulsions expéditives

Signées par M. Kelly, les deux circulaires ordonnent notamment le recrutement de 15 000 agents d’immigration supplémentaires et l’extension des expulsions expéditives à tous les sans-papiers présents sur le sol américain depuis deux ans. Seuls les « Dreamers » (rêveurs), ces 750 000 clandestins arrivés enfants aux États-Unis et scolarisés, sont épargnés. Les deux directives mentionnent aussi la recherche de fonds publics pour la construction du mur frontalier (évaluée à 21 milliards de dollars), promesse phare de M. Trump. Les déclarations du président américain sur son coût « remboursé à 100 % » par le Mexique avaient provoqué, le 26 janvier, l’annulation par M. Peña Nieto de sa visite à Washington, prévue le 31 janvier.

« Nous avons décidé (avec M. Trump) de mettre de côté les sujets difficiles comme celui du mur », a confié à la presse, lundi 20 février, M. Peña Nieto, qui s’entretiendra, jeudi, avec les deux ministres américains. Le 5 février, M. Trump a annoncé sur la chaîne américaine Fox News que son homologue mexicain était « disposé à recevoir notre aide » dans sa lutte contre les cartels de la drogue. Deux jours plus tard, M. Kelly a évoqué un projet de plan militaire binational, remettant en cause l’Initiative Mérida, une aide logistique américaine (2,3 milliards de dollars) accordée depuis 2008 au Mexique pour combattre le narcotrafic. M. Kelly a fait référence à « l’exemple de la Colombie », où des troupes américaines interviennent depuis 1999.

Appel à la fermeté

De quoi provoquer une levée de boucliers chez les parlementaires mexicains de tous bords contre une possible « violation de la souveraineté nationale ». Ces derniers ont aussi appelé le gouvernement à « la fermeté » dans la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena), en vigueur depuis 23 ans entre le Mexique, les États-Unis et le Canada. M. Trump menace d’abroger l’Alena, qu’il considère trop favorable au Mexique, pour imposer des taxes douanières allant jusqu’à 35 % sur les produits mexicains. L’enjeu est de taille pour le Mexique, dont 80 % des exportations sont destinées aux États-Unis. Le climat d’incertitude a déjà amené la banque BBVA à revoir à la baisse ses perspectives de croissance du Mexique à 1 % pour 2017, contre 2,3 % l’année dernière.

En réaction, le ministre mexicain de l’économie, Ildelfonso Guajardo, a laissé entendre dans une interview, publiée le 18 février dans le quotidien canadien, The Globe and Mail, que le Mexique pourrait cesser sa coopération avec les États-Unis en matière d’immigration et de sécurité si Washington abrogeait l’Alena. La poursuite du « Plan Frontera Sur », instauré en 2014 au Mexique pour arrêter et expulser les migrants centraméricains avant leur arrivée aux États-Unis, pourrait ainsi être remise en cause. L’autre levier de négociation porte sur la coopération mexicaine dans la lutte contre les cartels alors que Mexico dénonce le trafic d’armes en provenance des États-Unis.

Pour l’heure, le gouvernement mexicain semble jouer la carte de la conciliation. « Nous avons des différences notoires (…) mais sur d’autres points nous sommes ouverts au dialogue », martèle Luis Videgaray, ministre mexicain des affaires étrangères, qui prône une relation « respectueuse et constructive » avec les États-Unis. Cette main tendue à M. Trump provoque des critiques chez les Mexicains. Selon un récent sondage du quotidien El Universal, 54 % d’entre eux craignent même que leur pays finisse par payer la facture de la construction du mur frontalier.