En Afrique, le paludisme recule mais les fièvres de toutes origines tuent plus
En Afrique, le paludisme recule mais les fièvres de toutes origines tuent plus
Par Ghalia Kadiri (contributrice Le Monde Afrique)
Infections, Ebola, chikungunya, dengue, zika : de nombreuses maladies fébriles, mal dépistées, sont traitées à tort comme un paludisme.
Les efforts de la lutte contre le paludisme ont payé. En quinze ans, l’incidence du paludisme, dont 90 % des cas sont enregistrés en Afrique subsaharienne, a diminué de 41 % selon le dernier rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette maladie infectieuse, responsable de fièvres pouvant être mortelles, a tué 429 000 personnes en 2015, contre le double au début du XXIe siècle.
Mais, sur le continent africain, les autres causes de fièvres inquiètent les spécialistes. « Beaucoup de fièvres non paludéennes sont mal traitées car, pour le personnel soignant comme pour les patients, la fièvre est toujours synonyme de paludisme », avertit Benoît Gallet, conseiller scientifique à l’Institut de médecine et d’épidémiologie appliquée (IMEA) à Paris. Ebola, chikungunya, dengue, infections virales, infections bactériennes et, depuis peu, Zika. « Nous avons constaté une recrudescence des décès dus à ces maladies fébriles, car les fièvres sont mal diagnostiquées », poursuit le docteur Gallet.
Début février, l’IMEA a ressemblé près de cent médecins, infectiologues, biologistes et responsables de ministères de la santé venant de 23 pays africains, lors d’un atelier à Grand-Bassam, en Côte d’Ivoire. L’objectif : faire prendre conscience à l’échelle du continent que le paludisme n’est plus la principale cause de fièvre en Afrique subsaharienne. « Il faut changer la mentalité des populations et former les soignants sur le terrain, en particulier dans les dispensaires de brousse, pour éviter les prescriptions d’antipaludiques à tort et permettre une meilleure prise en charge des autres causes de fièvre », indique Benoît Gallet.
« Le paludisme a changé, pas les mentalités »
Transmis par les piqûres de certaines espèces de moustiques du genre Anopheles, le paludisme touche 212 millions de personnes dans le monde, dont 190 millions en Afrique subsaharienne. Après une nette augmentation du nombre de cas et de décès dans les années 1980 et 1990 provoquée par une résistance à la chloroquine, l’ancien traitement antipaludique, la maladie connaît une transition épidémiologique depuis 2000. Sa prévalence a nettement chuté grâce à l’utilisation d’un nouveau traitement plus résistant à base d’artémisinine et aux campagnes de distribution de moustiquaires imprégnées, financées notamment par la Fondation Bill & Melinda Gates (partenaires du Monde Afrique). Mais un premier cas de résistance partielle du parasite à l’artémisinine a récemment été observé en Guinée équatoriale. Une nouvelle préoccupante pour la lutte contre le paludisme puisque ce médicament est la seule arme efficace contre la maladie pour le moment.
D’autant qu’aucun vaccin n’a été trouvé pour le moment. Deux études encourageantes, publiées le 16 février dans la revue médicale britannique The Lancet, ont pourtant montré l’efficacité d’un vaccin expérimental. Les spécialistes se montrent toutefois prudents car même le Mosquirix, le candidat-vaccin dont les études cliniques sont allées le plus loin, n’a jamais été homologué depuis sa conception en 1987.
Mais si le paludisme a diminué, celui-ci peut s’avérer plus grave. « On observe une augmentation du paludisme chez le grand enfant et l’adulte et un accroissement des formes sévères de la maladie », analyse Marielle Bouyou-Akotet, biologiste et cheffe du département de parasitologie de l’Université des sciences de la santé de Libreville, au Gabon. Dans les zones à forte endémie, les enfants de 0 à 2 ans – âge où l’immunité se développe – sont de moins en moins exposés aux moustiques du fait de l’utilisation accrue des moustiquaires. Ils n’acquièrent donc plus d’immunité et, en l’absence de prémunition, risquent une évolution plus grave de la maladie.
« Le profil du paludisme a changé, mais pas les mentalités. La population continue d’être traitée comme si rien n’avait changé », affirme Benoît Gallet. Une étude menée au Kenya en 2015, publiée dans l’American Journal of Tropical Medicine and Hygiene, a montré que 79,7 % des patients souffrant d’une forte fièvre avaient été traités pour un paludisme, alors que seuls 5,2 % étaient réellement infectés. Les patients, eux, refusent souvent de croire à un diagnostic négatif. « C’est ce qu’on nous a toujours appris, explique le professeur Serge Eholié, médecin spécialiste des maladies infectieuses au CHU de Treicheville, à Abidjan. On a beau dire à nos patients qu’ils n’ont pas de paludisme mais la grippe, par exemple, ils vont quand même se procurer un traitement. » Dans les pays d’Afrique subsaharienne, les antipaludiques sont vendus sans ordonnance et à moindre coût.
Des recommandations « obsolètes »
Dans les régions impaludées, les tests de diagnostic rapide (TDR) ont permis de dépister 74 % des cas suspectés de paludisme en 2015, selon l’OMS. « En cas de fièvre aiguë, nos soignants utilisent de plus en plus systématiquement le TDR », confirme le professeur Eholié. Ce petit appareil accessible même dans les zones les plus reculées et facile d’utilisation établit un diagnostic en moins de quinze minutes. « Le problème, c’est que lorsque le test du paludisme se révèle négatif, les soignants sont désarmés face à la fièvre. »
En Côte d’Ivoire, malgré une baisse remarquable des cas de paludisme, les décès liés aux fièvres n’ont pas diminué. Au CHU de Treicheville, à Abidjan, en moyenne 30 % à 40 % des patients atteints de fièvre ont un paludisme. « On ne sait pas comment traiter les autres », regrette le professeur Eholié. Selon lui, la crise Ebola a mis en évidence la difficulté de diagnostic et de traitement des maladies fébriles non paludéennes : « A l’apparition du virus Ebola, nous avons tous cru qu’il s’agissait d’une épidémie de paludisme. Nous étions démunis face au problème, c’était une catastrophe ! »
A ce jour, l’OMS n’a pas donné de directives solides pour les diagnostics et traitements des maladies fébriles non paludéennes. « Il faut absolument établir un nouveau profil étiologique des fièvres avec des algorithmes pour savoir quelles maladies sont présentes dans chaque pays et comment les prendre en charge, explique la biologiste Marielle Bouyou-Akotet. C’est tout un système qu’il faudra mettre en place dans les prochaines années afin de s’émanciper des recommandations internationales, désormais obsolètes. »