Documentaire dimanche 26 à 22 h 55 sur Arte

Pour beaucoup, Daphné du Maurier (1907-1989), c’est Rebecca, et le magnifique film d’Alfred Hitchcock que l’on peut voir avant ce documentaire, Daphné du Maurier, sur les traces de Rebecca. D’autres savent aussi que Les Oiseaux, du même Hitchcock, est tiré d’une nouvelle de Daphné du Maurier. Mais guère plus.

C’est donc le mérite de ce film, sur de très belles images en noir et blanc et en couleur, avec la voix de Kristin Scott Thomas, de rendre à la romancière britannique la complexité de sa personnalité. En faisant intervenir plusieurs témoins et experts, dont Tessa Montgomery, l’une des deux filles de Daphné du Maurier, Tatiana de Rosnay, auteure de Manderley for ever, une biographie de Daphné du Maurier, dit notamment : « Elle voulait être le fameux garçon que son père aurait aimé avoir. » On voit aussi un extrait d’une des rares interviews de Daphné du Maurier, à la BBC, vers la fin de sa vie.

Indépendance et liberté

De ce portrait subtil réalisé par Elisabeth Aubert Schlumberger ressort une femme de caractère, discrète, indépendante, mais souvent partagée entre son amour pour son mari militaire, ses amours pour des femmes et son désir de liberté. Après la guerre, par exemple, la reprise de sa vie de couple, en 1945, lui a été difficile, après quatre ans de séparation. En outre, son mari, Frederick Browning, ayant été anobli en 1946, elle se doit de jouer le rôle de Lady Browning. Elle n’aime guère cette manière de rentrer dans le rang. Il y avait toujours chez elle ce qu’elle désignait comme « The boy in the box » (le garçon dans la boîte), la part d’elle-même soucieuse de conduire sa vie comme elle l’entendait.

Cette indépendance et cette liberté, elle les avait eues en 1926 et 1927, alors qu’elle séjournait dans un pensionnat à Meudon. Il était logique qu’elle vienne en France, sa famille étant très fière de son sang français. Son grand-père George du Maurier était né à Paris. Ses parents étaient ce que l’on désigne aujourd’hui comme des bourgeois bohèmes. Son père, Gerald du Maurier, vedette populaire du théâtre britannique, menait grand train. A Meudon, elle est tombée amoureuse de la directrice du pensionnat, Fernande Yvon, et elle a fréquenté les Américains de Paris, dont Hemingway.

Rebecca extrait 2
Durée : 05:51

« Elle s’est intéressée au rôle de la femme moderne, indépendante, explique l’universitaire Laura Varnam, on en trouve la trace dans sa nouvelle “The Doll” (la poupée), qui a été refusée. » Quand elle revient à Londres, elle a 20 ans, c’est le temps des suffragettes, et, chez les intellectuels, du groupe de Bloomsbury. Virginia Woolf publie Orlando. Chez les du Maurier, l’atmosphère est pesante, Gerald fait des reproches à ses filles. Heureusement, la famille achète une maison en Cornouailles, et Daphné, séduite par la lande, y situe l’intrigue des romans qu’elle commence à écrire. « Les Cornouailles semblaient raconter des histoires dont les racines étaient très profondes et très anciennes, dit la critique littéraire Helen Taylor. Daphné n’était pas une moderniste, mais une conteuse à l’ancienne, elle a eu du succès rapidement, elle est devenue une auteure populaire, ce qui l’a coupée des modernes. »

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En 1937, elle a 30 ans, elle est à Alexandrie, où son mari, épousé en 1932, est en poste. La chaleur l’incommode et, en quelques mois, elle écrit le premier jet de Rebecca. Au succès s’ajoute l’aisance financière. En 1943, elle achète une immense bâtisse, Menabilly, en Cornouailles bien sûr, un écho du Manderley de Rebecca, puis Kilmarth, où, après avoir été anoblie par la reine en 1969, elle meurt, en 1989, vingt-cinq ans après son mari.

Daphné du Maurier, sur les traces de Rebecca, d’Elisabeth Aubert Schlumberger (France, 2016, 56 min).