Aux Pays-Bas, quelque 1 300 maisons ont été rénovées à énergie zéro. | © VolkerWessels/EnergieSprong

Le projet est ambitieux. Mais un patient travail de persuasion mené en France, sur la base d’une expérience concluante lancée depuis quatre ans aux Pays-Bas, a fini par payer. Deux projets pilotes de rénovation à énergie zéro de logements sociaux anciens vont voir le jour en France d’ici la fin de l’année. Le premier concerne dix maisons mitoyennes construites en 1952 à Hem (Nord), près de Roubaix, et le second, de même envergure, se situe à Longueau (Somme), près d’Amiens.

Dans les deux cas, les maisons seront littéralement revêtues de nouvelles façades et toitures isolantes, sur lesquelles seront installés des panneaux solaires. Les systèmes de chauffage et certains appareils ménagers seront changés. Le tout en quatre ou cinq semaines, sans que les locataires aient à quitter leurs foyers. Au final, la maison rénovée ne devrait pas consommer plus d’énergie qu’elle n’en produit. « Avec ces deux projets qui serviront de prototypes, la dynamique est désormais bien enclenchée », estime Sébastien Delpont, directeur associé de la société parisienne Greenflex, spécialisée dans l’accompagnement en matière de transition énergétique.

Récipiendaire du Prix Le Monde- Smart cities de l’énergie en avril 2016, Greenflex importe en France le concept EnergieSprong (« saut énergétique » en néerlandais) imaginé à Amsterdam au niveau gouvernemental. Il s’agissait de réunir les acteurs du secteur – bailleurs, constructeurs, collectivités – pour mettre sur pied une filière industrielle de la rénovation énergétique de maisons anciennes, la plus importante possible, afin d’en réduire les coûts. Le cheminement fut lent, tant il rompait avec les pratiques habituelles. L’appui et le soutien des fonds européens ont été déterminants.

Aujourd’hui, EnergieSprong est lancé à grande échelle aux Pays-Bas, à raison de 1 000 rénovations par an pendant 14 ans, ce qui laisse entrevoir un financement à 100 % grâce aux économies d’énergie réalisées sur 30 ans. A ce jour, quelque 1 300 maisons ont été « rhabillées » de fond en comble, avec l’indispensable accord des locataires.

Soucieuse d’étendre l’expérience à d’autres pays, la commission européenne finance, dans le cadre de son programme H2020, une étude de trois ans pour développer l’approche EnergieSprong, en France, au Royaume-Uni et au Luxembourg, en attendant que l’Allemagne et l’Italie concrétisent leur intérêt pour le concept. La région Hauts-de-France bénéficie en outre d’une aide substantielle d’un autre programme européen, dit interrégional pour le nord-ouest de l’Europe (Interreg NWE). Et EnergieSprong a obtenu l’appui de la Caisse des dépôts et de l’Ademe, l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.

Restait à convaincre des bailleurs sociaux que les besoins en rénovation de leur patrimoine pouvaient passer par la démarche néerlandaise. « Nous avons engagé des discussions avec une vingtaine d’entre eux, ainsi qu’avec une centaine d’acteurs du bâtiment, indique Sébastien Delpont de Greenflex. Trois bailleurs ont accepté de se lancer dans l’aventure, à Hem pour Vilogia, propriétaire de 13 000 maisons individuelles dans le Nord, et à Longueau pour ICF Habitat, filiale de la SNCF (plus de 100 000 logements dans toute la France). Près de Rennes, un autre projet mené par Neotoa (17 400 logements en Bretagne), est bien engagé.

Outre des obstacles administratifs ou juridiques à lever, il a fallu persuader, comme aux Pays-Bas, industriels, architectes, bureaux d’études, entreprises de construction grandes et petites et administrations de travailler ensemble pour lancer une filière industrielle et fixer des normes. « En ce sens, le concept EnergieSprong a un côté révolutionnaire pour les acteurs du bâtiment, appelés à participer à une démarche concertée, intégrée, et à produire ensuite en série. Des nouveautés qui font parfois peur, commentent Eric Danesse et Agnieszka Bogucka, chargés de la rénovation chez Vilogia.

La concertation a finalement été menée à bien, et bailleur vient de lancer les appels d’offres pour Hem. Concrètement, les maisons seront scannées en 3D d’ici quelques mois et des ateliers travailleront sur mesure, au millimètre près. Des pompes à chaleur seront installées, de même que des ventilations à double flux, et le gaz sera remplacé par l’électricité. Les locataires volontaires pour l’expérimentation seront en partie équipés à neuf dans leurs cuisines et salles de bain mais ne verront pas leur loyer diminuer : les bailleurs financeront leurs investissements sur les économies d’énergie réalisées.

Toutes les parties prenantes ont hâte de voir ces premiers prototypes réalisés d’ici l’automne. « Nous souhaitons qu’EnergieSprong devienne un standard du marché et nous songeons à une labellisation », avancent les deux responsables de Vilogia.

A la Caisse des dépôts, Nicolas Blanc, directeur du développement durable, et Vincent Pichon, directeur de projets au département stratégie, se félicitent de l’implication de leur organisme dans le financement, à titre mineur, de ce type de projets, susceptibles d’accélérer la transition énergétique. « Les gouvernements successifs fixent des objectifs d’économie d’énergie qui sont rarement tenus, constatent-ils. EnergieSprong secoue le cocotier dans le bon sens ».

Sur l’énorme marché de la rénovation immobilière, le défi, pour le facilitateur Greenflex, est que les prototypes suscitent un effet d’échelle : plus les rénovations seront massives, plus les coûts industriels baisseront. L’objectif est de les diminuer de 50 %, le seuil atteint aux Pays-Bas, selon Sébastien Delpont. Pour les maisons individuelles au moins, ce qui serait déjà beaucoup. Côté immeuble, les Néerlandais ne se sont guère aventurés, avec EnergieSprong, au-delà d’édifices à deux ou trois étages, jusqu’à présent.