Le porte-parole de la Maison Blanche a informé la presse américaine que le président des Etats-Unis ne regarderait probablement pas la cérémonie des Oscars (après que Donald Trump eut abondamment commenté, via Twitter, celle des Golden Globes). A Hollywood, l’une des plus grosses et plus riches agences artistiques, UTA, a abandonné sa traditionnelle fête d’avant-cérémonie pour un meeting en faveur de la liberté de circulation.

La 89e cérémonie des Oscars, qui aura lieu dimanche 26 février à 17 h 30 (lundi 27 février à 1 h 30, heure de Paris) au Dolby Theatre de Los Angeles, ne devrait pas ressembler aux précédentes. Comme toutes les manifestations de la vie publique américaine depuis le 8 novembre 2016, la remise des trophées décernés par les professionnels du cinéma de l’Academy of Motion Pictures Arts and Sciences (Ampas) se célébrera à l’ombre du président Trump. Un éditorialiste du New York Times, Frank Bruni, proposait récemment à ses lecteurs un nouveau drinking game : descendre un verre à chaque fois qu’un lauréat évoquera le 45e président des Etats-Unis.

Cette politisation intervient au moment où l’Ampas est arrivée à se défaire de l’étiquette oscarsowhite (Oscars trop blancs) dont ses critiques l’avaient justement affligée, après deux années consécutives pendant lesquelles aucun acteur issu des minorités n’avait été nommé dans les quatre catégories concernées. Cette année, ils sont six Afro-Américains à concourir pour la statuette : Denzel Washington, meilleur acteur pour Fences ; Ruth Negga, meilleure actrice pour Loving ; Mahershala Ali, meilleur second rôle masculin pour Moonlight ; Viola Davis, Naomie Harris, Octavia Spencer, meilleurs seconds rôles féminins pour, respectivement, Fences, Moonlight et Les Figures de l’ombre.

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« La La Land » grand favori

Bien sûr, le grand favori de ces 89es Oscars est un film tout à fait apolitique, la comédie musicale La La Land, de Damien Chazelle. Il a remporté 14 nominations, record absolu depuis la création des Oscars, record partagé avec Eve, de Joseph Mankiewicz (1950) et Titanic, de James Cameron (1997). Fort de cet avantage, La La Land a dominé la plupart des cérémonies qui ont précédé les Oscars, des Golden Globes au prix décerné par la guilde des réalisateurs en passant par les Bafta britanniques. Parmi les huit autres films nommés à l’Oscar du long-métrage, les outsiders le plus souvent cités sont Moonlight, de Barry Jenkins et Manchester by the Sea, de Kenneth Lonergan. Le premier a pour lui de représenter à la fois la jeunesse et les minorités (il raconte l’arrivée à l’âge d’homme d’un jeune Afro-Américain gay issu d’un ghetto de Miami), le second de confirmer le talent d’un réalisateur et scénariste respecté (le film a reçu le prix de la guilde des scénaristes).

Les électeurs préfèreront-ils l’évasion de La La Land aux reflets historiques de la réalité américaine qu’offrent Moonlight, Les Figures de l’ombre et Fences, tous situés dans des passés plus ou moins récents, l’épidémie de crack, la course à la Lune et le démantèlement de la ségrégation ? Les efforts de la présidente de l’Academy of Motion Pictures Arts and Sciences, Cheryl Boone Isaacs, pour ouvrir les rangs d’un collège majoritaire blanc, mâle et âgé, sont trop récents pour avoir profondément modifié sa composition. Le résultat dépend plus de la sensibilité des votants à l’air du temps.

Il ne s’agit pas seulement d’opinions ou d’impressions. Les premières mesures prises par l’administration Trump touchent directement Hollywood. Après l’annonce de l’interdiction d’entrée aux Etats-Unis faite à ses compatriotes, le grand favori à l’Oscar du film en langue étrangère, Asghar Farhadi (pour Le Client) a annoncé qu’il ne se rendrait pas à la cérémonie (alors qu’il était présent pour recevoir la statuette que lui avait value Une séparation en 2012) et renonçait à demander une dispense. Il a fallu les premières décisions de la justice américaine contre les interdictions de voyager pour que le responsable des casques blancs d’Alep, personnage central d’un court-métrage documentaire nommé à l’Oscar, puisse être certain de faire le voyage jusqu’à Hollywood.

L’actrice Isabelle Huppert  lors du déjeuner officiel des nommés aux Oscars à Beverly Hills (Californie), le 6 février 2017. | KEVIN WINTER/GETTY IMAGES/AFP

Isabelle Huppert, côté français

Pour le public français, l’intérêt pour la cérémonie se corse dans plusieurs catégories. Meilleure actrice, bien sûr : après Emmanuelle Riva en 2012, Marion Cotillard en 2014 (cette dernière lauréate en 2007 avec La Môme), Isabelle Huppert, nommée pour Elle, de Paul Verhoeven devra pour l’emporter recueillir plus de votes que Ruth Negga, Meryl Streep (pour Florence Foster Jenkins, de Stephen Frears)devenue depuis son intervention aux Golden Globes la figure de proue de l’opposition anti-Trump dans le monde des arts –, Natalie Portman (nommée pour Jackie, de Pablo Larrain, coproduction française), et Emma Stone (La La Land). L’actrice française s’est dépensée sans compter auprès des membres de l’Academy, mais Elle n’a pas été un grand succès commercial aux Etats-Unis.

I Am Not Your Negro, production française du cinéaste haïtien Raoul Peck, est d’ores et déjà l’un des plus gros succès de l’histoire récente du documentaire. Inspiré d’un texte de l’écrivain afro-américain James Baldwin, cette chronique historique de la discrimination raciale a déjà dépassé les trois millions de dollars de recette, un argument auquel les électeurs de l’Ampas sont souvent sensibles. Le film de Raoul Peck est en concurrence avec deux autres films sur la condition noire, 13th, d’Ava DuVernay et O.J. : Made in America, d’Ezra Edelman ainsi qu’avec Fuocoammare, le documentaire italien de Gianfranco Rosi. Les autres nommés français sont Madeline Fontaine (pour les costumes de Jackie), le réalisateur Sélim Azzazi (pour le court-métrage Ennemis intérieurs) et Stéphane Ceretti (pour les effets spéciaux de Doctor Strange).