Marine Le Pen, à Nantes, le 26 février. | JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Les déclarations de Marine Le Pen sur les fonctionnaires ont déclenché un tir de barrage à la hauteur de l’indignation, très forte, qu’elles ont suscitée. Le président de la République, plusieurs membres du gouvernement et de nombreux syndicats d’agents publics sont montés sur le ring, lundi 27 février, pour apporter la contradiction à la candidate du Front national (FN) à la présidentielle.

Alors que les affaires judiciaires, mettant en cause certains de ses proches, s’accumulent, la dirigeante d’extrême droite avait pris à partie, dimanche, les magistrats mais aussi plus généralement les fonctionnaires, lors d’un meeting à Nantes. « Je veux dire aux fonctionnaires, à qui un personnel politique aux abois demande d’utiliser les pouvoirs d’Etat pour surveiller les opposants, organiser à leur encontre des persécutions, des coups tordus (...), de se garder de participer à de telles dérives  », avait lancé la candidate FN. Avant de poursuivre : « Dans quelques semaines, ce pouvoir politique aura été balayé par l’élection. Mais ses fonctionnaires, eux, devront assumer le poids de ces méthodes illégales. Ils mettent en jeu leur propre responsabilité. L’Etat que nous voulons sera patriote. »

« Je n’accepterai jamais qu’on puisse mettre en cause les fonctionnaires dans notre République au prétexte qu’ils appliquent la loi et qu’ils font en sorte que la justice puisse travailler », a réagi François Hollande. « Aucune menace ne peut empêcher un fonctionnaire d’accomplir les missions qu’il doit accomplir en raison de ce qu’est la loi votée par le peuple souverain », a renchéri le premier ministre, Bernard Cazeneuve. Sur Twitter, la ministre de la fonction publique, Annick Girardin, a fustigé la responsable du FN qui « s’assoit déjà sur l’Etat de droit ».

Premiers visés par Mme Le Pen, les juges dénoncent les accusations très graves dont ils sont l’objet. « Nous sommes consternés par ce discours qui est antirépublicain, confie Benjamin Blanchet, de l’Union syndicale des magistrats (USM). Nous le sommes d’autant plus qu’il émane d’une personnalité qui, si elle remporte l’élection présidentielle, devra se porter garante de l’indépendance de la justice, l’un des fondements de la République. » « Elle se place sur le terrain de la menace et de la tentative de déstabilisation des institutions, c’est inadmissible », enchaîne Clarisse Taron, présidente du Syndicat de la magistrature. Et d’ajouter, inquiète : « On entraperçoit la politique qu’elle mettrait en place, si elle gagnait le scrutin. »

Mme Le Pen « a franchi un pas dans la menace »

Les organisations de policiers vivent mal, elles aussi, le coup de pression de la présidente du FN. Celle-ci distille l’idée que les fonctionnaires de police formeraient une « garde prétorienne » prête à obéir à des consignes illégales, ce qui est faux, tempête Yves Lefebvre, secrétaire général d’Unité SGP-FO. « Les policiers sont républicains et se refusent à suivre des ordres qui s’avéreraient illégaux, souligne-t-il. Il faut rester sérieux, la paranoïa de certains responsables politiques, dont Marine Le Pen fait partie, dessert la République. » « Je ne vois pas de quoi elle parle, complète Christophe Rouget, du SCSI-CFDT. Nous travaillons dans le strict respect des règles de la procédure pénale. » Habitué aux « attaques » contre la police, M. Rouget trouve, tout de même, que Mme Le Pen « a franchi un pas dans la menace, ce qui est assez dangereux ». Très remonté, le syndicat Alliance a diffusé, lundi, un communiqué, rappelant que « les policiers œuvrent pour le sens commun et non pour des intérêts particuliers de quelconques officines ».

Les fédérations de fonctionnaires sont – bien sûr – sur la même longueur d’onde. Lorsque Mme Le Pen veut que chaque agent, « notamment [dans] la haute fonction publique », ait « à cœur l’intérêt national, l’attachement à la France et à ses valeurs », il s’agit d’une orientation « contraire à notre statut général, fondé sur la neutralité, l’impartialité, la compétence, l’efficacité », estime Jean-Marc Canon (CGT). C’est aussi « une atteinte à l’égalité d’accès à la fonction publique », poursuit-il, car la dirigeante du FN exprime, à l’évidence, la volonté d’enrôler des « patriotes » : « Selon quels critères ? Par qui ? Tout ceci comporte de lourdes connotations. »

« Le voile se lève sur ce qu’est le vrai programme du FN en matière de fonction publique », affirme Mylène Jacquot (CFDT). Il est, selon elle, porteur « de divisions au sein de la société ». Les propos de Mme Le Pen « sont inquiétants pour la démocratie », conclut Luc Farré (UNSA) : « Il n’y a pas de raison qu’une personnalité candidate à la présidentielle puisse mettre en cause des agents qui appliquent la loi. »