Il y a encore quinze ans, Djibouti sommeillait. Son président Ismaïl Omar Guelleh (IOG) débute, mardi 28 février, une visite officielle en France.Un micro-Etat désertique de 23 000 km2, indépendant depuis 1977, terrain d’entraînement de l’armée française qui constituait la meilleure assurance-vie d’un régime secoué par une décennie de rébellion (1991-2001).

Depuis, tout a changé. La piraterie aux larges des côtes de la Corne de l’Afrique, la lutte contre les groupes djihadistes, les ambitions industrielles du grand voisin éthiopien privé d’accès à la mer depuis l’indépendance de l’Erythrée, l’expansion commerciale chinoise dont les produits manufacturés remontent vers l’Europe en passant par la mer Rouge et, plus récemment, l’explosion de la guerre au Yémen, à une trentaine de kilomètres de ses côtes, ont placé Djibouti au cœur de l’échiquier international.

Grande bousculade

Les Etats-Unis, le Japon, l’Allemagne, l’Italie ont installé à Djibouti leurs soldats. Après les Emirats arabes unis, désormais brouillés avec Djibouti, la Chine s’est lancée dans la construction d’un complexe portuaire mais aussi d’une base militaire, sa première en Afrique. Pékin vient par ailleurs d’achever la construction d’une voie de chemin de fer entre Addis-Abeba et Djibouti. Quant à l’Arabie saoudite, elle fait office de parrain régional dans cette zone capitale pour le transit commercial – 20 % des exportations mondiales passent par le détroit du Bab Al-Mandeb – mais agitée par une multitude de crises.

Dans cette grande bousculade, la France n’a cessé de voir son influence se réduire. Et les officiels djiboutiens ne se privent pas pour dénoncer leur « sentiment d’abandon » par l’ancienne puissance coloniale. Il y a deux ans, dans un entretien à l’hebdomadaire Jeune Afrique, le président Guelleh pestait : « Tout se passe comme si la France ne nous considérait plus. » Sa visite officielle à Paris est la première depuis dix ans. Une longue absence évocatrice lorsque, auparavant, après son élection, le chef de l’Etat djiboutien réservait traditionnellement sa première visite officielle à son homologue français. Ce voyage intervient à moins de trois mois d’un changement de tête à l’Elysée et tous les spécialistes du dossier sont bien en peine d’en évaluer les retombées.

De bonne source, si « IOG n’avait pas réussi à forcer la main à François Hollande » pour être reçu avant son élection pour un quatrième mandat en avril 2016, alors que la campagne avait été marquée par des violences meurtrières puis le résultat rejeté par l’opposition, dans l’entourage du président français, on concède que « cette visite repoussée notamment par des problèmes d’agenda est incontestablement tardive, mais nous avions la volonté de ne pas finir le quinquennat avec une marque de désintérêt ».

Une autre source officielle considère que les enjeux d’une telle rencontre sont faibles, mais qu’« il faut continuer à accrocher le président Guelleh à la France pour qu’il ne place pas toutes ses billes avec la Chine. Ce voyage démontre d’ailleurs qu’il cherche, habilement, une position d’équilibre entre les différentes puissances qui le convoitent ». Sur le plan sécuritaire, Paris attend que « la marine garde ses accès privilégiés » alors que 1 400 soldats français sont encore à Djibouti, la plus importante base de l’armée à l’étranger. Selon un bon connaisseur du dossier, cette visite pourrait aussi permettre de lever l’interdiction faite aux avions français de survoler la partie nord du pays après que « Djibouti a estimé que la France n’avait pas rempli ses obligations de protection à la suite d’un incident frontalier avec l’Erythrée en 2008 ».

Prévalence des questions militaires

La relation franco-djiboutienne, marquée par une prévalence des questions militaires, n’a jamais été apaisée. Plus de vingt ans après l’assassinat du juge Bernard Borrel en octobre 1995, la famille du magistrat attend toujours de connaître la vérité. Fin 2015, l’ambassadeur de France, Serge Mucetti, avait été rappelé à Paris à la demande des autorités locales qui le considéraient trop proche de l’opposition.

A la veille de l’arrivée d’IOG à Paris, l’opposant Maki Houmed Gaba, représentant en France de l’Union pour le salut national, interpelle ainsi François Hollande : « Nous comprenons que la France ait besoin de préserver ses intérêts, sa position stratégique, mais, à Djibouti, il n’y a aucune démocratie et le pays a été privatisé par le clan au pouvoir. La France a une responsabilité morale de tenir compte de la réalité, sinon les Djiboutiens se détourneront d’elle et pourraient être tentés par de nouvelles aventures armées. »

Dans une note d’analyse intitulée « Djibouti, quelle situation politique ? », la Fondation Jean-Jaurès estimait que, « en dépit de ses atouts non négligeables, le petit Etat connaît avec le pouvoir en place, sous-développement économique, misère sociale généralisée et verrouillage politique, ce qui est lourd de risques pour le pays. »