Dans l’effervescence des défilés prêt-à-porter de New York, les couloirs bruissaient de discussions entre initiés sur l’introduction en Bourse début mars de Snap Inc., la maison mère de Snapchat, l’appli permettant de partager des photos et des vidéos qui se suppriment d’elles-mêmes au bout d’une à dix secondes. Cette plateforme, qui ne fait pas seulement un carton auprès des ados, voit à la fois le nombre de ses utilisateurs et leur âge moyen en augmentation constante partout dans le monde.

2,5 milliards de « Snaps » par jour

Dans le dossier qu’elle a rempli pour la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme de la Bourse américain, Snap Inc. fait ainsi état d’un chiffre d’affaires de 404,5 millions de dollars en 2016, soit une augmentation sidérante de 600 % en un an. L’entreprise a également révélé que ses 158 millions d’utilisateurs quotidiens produisaient chaque jour plus de 2,5 milliards de publications ou « Snaps ».

Le 16 février, Snap Inc. a certes considérablement revu à la baisse sa valorisation, passant de 25 à 18 milliards de dollars. Mais l’entreprise, qui prévoit de se lancer sur le New York Stock Exchange, doit encore lever 3,2 milliards de dollars, ce qui en fait la plus importante cotation américaine pour une entreprise technologique depuis l’introduction en bourse d’Alibaba, le leader chinois du e-commerce, en 2014.

Le fondateur de Snap Inc., Evan Spiegel, estime que son entreprise n’est pas un réseau social comme Facebook ou Instagram, mais une « entreprise d’appareils photos ». En septembre 2016, Snap a d’ailleurs dévoilé son premier appareil, sous la forme de lunettes avec caméra intégrée et possibilité de partage, appelées les Spectacles et vendues pour l’instant exclusivement dans des distributeurs itinérants nommés Snapbots. Mais M. Spiegel a parlé des Spectacles comme d’un « jouet », sa vision allant bien au-delà de ces lunettes.

Les objets de demain avec appareils photos intégrés pourront identifier un sac à main présenté à la Fashion Week, proposer vêtements ou accessoires du même style et permettre de les acheter sur le champ.

Pour la première fois de l’histoire, presque tout le monde sur terre aura bientôt un téléphone portable avec appareil photo intégré. « Les images prises par les appareils photos des smartphones contiennent plus d’informations que d’autres formes de données comme les textes écrits depuis un clavier », peut-on lire dans le dossier que Snap Inc. a présenté à la SEC. Qui plus est, la déclaration de mission de l’entreprise prévoit que « de la même manière que le curseur clignotant [qui indique la position du point d’entrée du texte que l’on va saisir] est devenu le point de départ de la plupart des produits d’ordinateurs de bureau, nous sommes persuadés que l’écran de l’appareil photo va être à l’origine de la plupart des offres sur smartphones ».

Il faut se figurer le moment où l’intelligence artificielle équipera les ordinateurs d’yeux intelligents : les appareils photos permettront alors le développement de toutes sortes de services fondés sur la recherche, l’analyse et l’extraction d’informations à partir de milliards d’images.

Pour le fondateur de Snap Inc., Evan Spiegel (ici en 2013), sa société n’est pas un réseau social comme Facebook ou Instagram, mais une « entreprise d’appareils photos ». | Jae C. Hong/ AP Photo

Les possibilités d’application de ces techniques dans le secteur de la mode sont illimitées. Les objets de demain avec appareils photos intégrés pourront par exemple facilement identifier pendant la semaine des défilés un ravissant sac à main, proposer des vêtements ou accessoires du même style et permettre aux utilisateurs de les acheter sur le champ. Des plateformes comme Instagram, mieux établies, ont certes déjà copié avec succès certaines fonctions de Snapchat, mais la vision de l’entreprise pour les appareils photos du futur va beaucoup plus loin et elle est beaucoup plus puissante.

Le succès de la chaîne Discover

En attendant, Snap propose pour bientôt aux médias de la mode une véritable opportunité. Dans un monde de médias éparpillés, où le contenu est consommé de plus en plus souvent sur des plateformes technologiques – ce qui représente un défi pour les journaux et maisons d’édition traditionnels – Snap semble avoir saisi la valeur du contenu pour faire la différence avec des concurrents comme Facebook. L’entreprise a d’ailleurs placé le contenu au centre même de l’architecture de Snapchat : faites glisser votre doigt vers la gauche pour un message visuel, vers la droite pour un contenu.

Sur sa chaîne Discover, Snapchat accueille les contenus des médias à grande diffusion tels « Cosmopolitan », « Le Monde » ou « L’Equipe »… | Snapchat

Pour les éditeurs impliqués dans le projet, les résultats sont impressionnants. La chaîne Snapchat Discover du magazine Cosmopolitan, par exemple, connaît un succès dingue, avec environ 42 millions de visiteurs uniques par mois, soit bien plus des 33 millions qui consultent le site Cosmopolitan.com. De plus, Snapchat travaille de concert avec les médias pour monétiser les contenus lus par ses utilisateurs, proposant des revenus financiers intéressants, surtout comparés aux offres de Facebook, qui bénéficie d’une audience énorme mais propose des opportunités de monétisation bien moindres pour les titres de presse.

Par la rédaction de Business of Fashion

Traduction : Emma Fisherman

Lire l’article en version anglaise sur : www.businessoffashion.com