Documentaire sur Arte à 20 h 50

Lénine, une autre histoire de la révolution russe - bande-annonce - ARTE
Durée : 00:31

Cent ans tout juste qu’à Petrograd, la déflagration populaire unissant ouvriers, suffragettes, bourgeois démocrates et cosaques en rupture avec la police du tsar mit à bas un régime autocratique russe qu’on pensait immuable. Pour commémorer ce qu’on appellera la « révolution de février 1917 », Arte a composé une soirée qui se clôt par la dif­fusion du documentaire de ­Matthias Schmidt et Sebastian Dehnhardt, De l’URSS à la Russie. Chronique d’une hégémonie (2015), segmenté en deux parties égales, même si le premier volet couvre sept décennies (1922-1991) quand le second se concentre sur le « moment Poutine ».

Auparavant, on aura rendez-vous avec l’événement fondateur grâce à l’exercice ludique et documenté que propose Emilie Aubry, animatrice d’« Emission spécia­le ». Le parti pris de présenter ce moment d’histoire que représente l’abdication de Nicolas II comme un événement à vivre en direct avec des reportages, des commentaires et analyses en plateau des spécialistes de la Russie, des duplex des capitales européennes donne de la vitalité à une évocation précieuse où les clins d’œil anachroniques, malicieux, n’induisent pas en erreur. Ce focus sur la journée du 2 mars 1917 (selon le calendrier julien, car en Occident, selon le calendrier grégorien, il s’agit du 15 mars), qui vit le tsar Nicolas II se retirer au ­profit de son cadet le grand-duc ­Michel, se comprend d’autant mieux que le premier temps de la soirée, Lénine, une autre histoire de la révolution russe, est d’une exemplaire pédagogie.

Mobilisation sans vrais leaders

Coécrit par Cédric Tourbe, qui le réalise, le sociologue et politiste Michel Dobry et l’historien Marc Ferro, ce documentaire est bien plus décapant que son titre ne le promet. Nourrie d’images d’archives souvent exceptionnelles, de citations cinématographiques qui attestent la nécessité, au fil des commémorations (1927 avec Les Derniers Jours de Saint-Pétersbourg, de Vsevolod Poudovkine, et Octobre, de Sergueï Eisenstein, 1937 avec Lénine en octobre, de Mikhaïl Romm…), de forger une légende héroïque de ces moments, cette évocation est une formidable relecture de l’année 1917 déprise des fables qui l’ont maquillée au fil du temps et au gré des idéologies.

ARCHIVES - Photo datée de mars 1919 de Lénine tenant meeting à Moscou. Dans la nuit du 6 au 7 novembre 1917, Lénine lançait l'insurrection à Pétrograd, qui allait inaugurer un pouvoir sans partage de "socialisme réel" pendant 74 ans sur un immense empire. N/B / AFP PHOTO / TASS / - | - / AFP

On y suit, jour par jour, la chute de l’autocratie, depuis la journée du 23 février, où la conjonction des manifestants contre le rationnement et des féministes en quête d’égalité civique entraîne le concours d’un public nombreux, favorable à cette mobilisation sans vrais leaders, jusqu’à celle du 19 mars, où la manifes­tation monstre dans les rues de Petrograd se solde par l’obtention de ce droit de vote pour les femmes qui fédérait les cortèges le jour même.

Entre-temps, le tsar a été remplacé par un gouvernement provisoire dont l’homme fort est le nouveau ministre de la justice, Alexandre Kerenski, et les bolcheviks assistent, ahuris, à un bouleversement qu’ils n’ont ni pressenti ni organisé. On mesure ainsi à quel point pour Lénine, encore en exil à Zurich, cette nouvelle occasion manquée, après celle de janvier 1905, appelle à un troisième acte qu’il s’agit de ne pas rater. Le long chemin, de début juillet, quand il retrouve le sol russe, à la fin octobre, où le coup d’Etat contre le Palais d’Hiver réussit, est magistralement rendu sans masquer les atermoiements et les ratés. Une vision moins ­héroïque, donc bienvenue.

Lénine, une autre histoire de la révolution russe, de Cédric Tourbe (Fr., 2016, 95 min).