« Un blocus, c’est antidémocratique et stupide, mais malheureusement, c’est le seul moyen qu’on ait pour dire ce qu’on a à dire. » Léo (les prénoms ont été modifiés), en 1re au lycée Racine, à Paris, est arrivé tôt mardi 28 février pour organiser l’événement. Depuis huit jours, plusieurs lycées d’Ile-de-France sont mobilisés contre les violences policières. Mais le mouvement – marqué par des blocus, des rassemblements et quelques heurts avec les forces de l’ordre –, reste, pour l’heure, déstructuré, spontané et cantonné, mardi, à une quinzaine d’établissements en Ile-de-France – dont 11 à Paris.

Au lycée Racine, habitué aux blocus depuis les mobilisations contre la loi travail au printemps 2016, l’organisation est rodée. Rendez-vous est pris avant 7 heures. Les premiers arrivés font le tour du quartier pour récupérer les poubelles des riverains, qui se retrouvent entassées devant la porte du lycée. Au sommet, deux pancartes : « Blocus accidentel » et « justice pour Théo ».

Vers 8 heures, deux lycéens sont embarqués par la police. « Ils avaient des foulards. Les gens sont considérés comme des casseurs dès lors qu’ils couvrent leur visage. C’est certainement une tentative d’intimidation », considère Sarah, également en 1re. Après l’interpellation, le calme revient. L’ambiance est bon enfant. Vers 9 heures, ils sont une trentaine à bavarder tranquillement devant les poubelles, scrutés par une rangée de huit policiers en civil sur le trottoir d’en face.

Rapport dégradé avec la police

Qu’ont-ils à dire ? Pour beaucoup, il s’agit surtout de ne pas aller en cours – avec un côté « désobéissance », « braver l’interdit ». Mais pour certains, l’histoire du jeune Théo L., victime d’un viol présumé avec une matraque lors d’une interpellation à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) début février, a été un véritable « déclencheur ». « L’an dernier, la loi travail ne nous touchait pas vraiment, pour beaucoup d’entre nous c’était surtout l’occasion de sécher, reconnaît Sarah. Cette année, c’est différent, parce que les violences policières, c’est quelque chose qu’on a vu, voire subi. »

Beaucoup témoignent d’un rapport dégradé avec la police. Avec chacun son histoire. « L’an dernier, dans une manif, trois policiers m’ont coincé contre un camion et m’ont matraqué, raconte Léo. Je ne veux pas être dans un pays où tu peux te faire taper ou insulter parce que ta tête revient pas aux flics. » « Un de mes amis en Seine-Saint-Denis a pris un coup de poing par un baceux et a failli perdre un œil », s’indigne une adolescente. Un autre témoigne de l’usage des mortiers dans les manifestations.

« Les flics comme ceux qui ont violenté Théo, ce n’est pas la majorité, tempère Léo. Mais cette minorité crée chez les jeunes une haine de la police. Et encore, on n’est pas les plus touchés, précise-t-il. On imagine ce qui se passe en banlieue ; la majorité de mes potes rebeu ou black se font contrôler tout le temps, juste au faciès. »

Leurs revendications : mettre justement un terme à ces contrôles au faciès, rendre obligatoire la délivrance d’un récépissé lors des contrôles d’identité, équiper les policiers de caméras, dissoudre la brigade anticriminalité (BAC) et rétablir une police de proximité…. « Et faire en sorte que l’affaire Théo et les violences policières ne soient pas étouffées, ajoute Robin, en 1re. La plupart du temps, on a l’impression que c’est l’impunité totale, comme si la police avait une sorte d’autorité suprême ! »

« Eviter les dérapages »

Afin d’éviter les débordements de la semaine passée (arrivée de « casseurs », feux de poubelles, intervention des pompiers…) et de mieux structurer le mouvement, certains lycéens ont organisé une AG, la veille. « Aujourd’hui, ça se passe plus calmement, mais il y a encore du boulot pour éviter les dérapages, souligne Léo. Il y a des lycéens qui pensent qu’un blocus doit être forcément violent. Moi, je pense que la violence ne résout rien. »

A 10 h 30, il ne reste qu’une dizaine de jeunes devant le lycée. Ils tentent de maintenir le blocus et défendre leur amas de poubelles, déconstruit à chaque intervention de la matinée : celle des éboueurs d’abord, puis celle d’un restaurateur venu chercher sa poubelle. Ils n’iront pas cours de Vincennes (20e arrondissement) à 11 heures : « Une manifestation contre les violences policières, en face des CRS, devant l’annexe du ministère de l’intérieur, franchement, je ne le sens pas trop. Ça peut vite partir en vrille », craint Sarah.

Ça n’a pourtant pas été le cas. Munis d’une banderole « Policiers armés, Jeunesse blessée », ils n’étaient qu’une petite centaine, à 11 heures, sur le parvis du lycée Hélène-Boucher (20e arrondissement) à attendre, sous la pluie, les renforts. Ils ne sont pas venus. Ou bien moins nombreux que prévu. Seule une centaine d’élèves du lycée Paul-Valéry (12e arrondissement) sont arrivés, accueillis par des cris de victoire : « Les voilà ! ». Le cortège, de 200 personnes environ, s’est alors élancé sur le cours de Vincennes, en direction de la place de la Nation. Mais le périmètre était quadrillé par les forces de l’ordre, présentes en très grand nombre, et les rues, bloquées par des camionnettes de police. Les manifestants ont contourné le barrage et bifurqué en courant dans une petite rue adjacente. Ils ont été rattrapés quelques dizaines de mètres plus loin, rue Planchat, et ont fini, une petite centaine, nassés entre deux rangées de CRS.

Paroles reprises en chœur

C’est Niels, 16 ans et bottes customisées, qui menait la danse. « D’autres élèves de différents lycées devaient nous rejoindre mais les policiers les en ont empêchés en leur tirant dessus au Flash-Ball et dispersant leurs rassemblements, affirme-t-il. Les jeunes des quartiers populaires, eux, même s’ils sont beaucoup plus touchés que nous, ils ne viennent pas souvent. Ils savent, et nous aussi, que s’ils sont là, ça risque de partir en vrille. » Malgré les quelques débordements survenus en chemin – poubelles renversées, cartons de ravitaillement d’un supermarché éventrés et pillés dans la rue –, l’adolescent, brandissant une banderole « Pas de justice, pas de paix », avait une seule obsession : que la manifestation se déroule dans le calme.

A peine ont-ils été encerclés par les forces mobiles qu’ils ont tous levé les deux mains en l’air en criant : « Nous sommes pacifistes ». Avant d’entamer une série de slogans : « Flics, violeurs et assassins », « Justice pour Théo ». Deux jeunes filles ont improvisé un rock devant les policiers, tandis qu’un homme de 40 ans, Joules, du groupe Babord, habitué des manifestations contre les violences policières, est arrivé avec sa guitare en chantant : « A bas l’Etat policier, A bas l’état d’urgence, Justice pour Théo, Police de fachos, Justice pour Adama, on ne veut pas d’une police made in USA. » Des paroles que la petite foule a reprises en chœur.

Au total, mardi 28 février, 22 jeunes ont été interpellés en Ile-de-France, dont un adolescent de 16 ans pour avoir lancé un projectile sur la proviseure d’un lycée du 9e arrondissement de Paris.