Annie Alfred et son père Amon, devant leur maison de Bangwé, « la montagne qui pleure » en langue chichewa, le 21 janvier 2017. | Amaury Hauchard / Le Monde

Annie Alfred a 10 ans. Deux semaines avant notre rencontre, sa mère est décédée. Séropositive, celle-ci avait choisi pour se soigner de voir un soigneur traditionnel plutôt que d’aller à l’hôpital. Annie et Amon, son père de 28 ans, vivent ensemble dans une petite maison de deux pièces, sur les flancs de la montagne de Bangwé, « la montagne qui pleure » en langue chichewa. Ils vivent à une heure de route et de piste de Blantyre, la capitale économique du Malawi.

Présentation de notre série : Les albinos du Malawi racontent leur quotidien

Annie « Dans la rue devant notre maison, il y a les enfants. Je m’amuse beaucoup avec eux. Mais parfois, il y a les hommes. Eux sont méchants avec moi, ils me disent que je suis blanche, ils me disent que je suis de l’argent. Je ne comprends pas ce qu’ils veulent dire. Mon papa m’a expliqué qu’ils pensent que mon corps vaut cher, mais je ne suis pas sûre. Les gens rient quand on dit que je représente de l’argent. »

Amon « Chez nous, la télévision est toujours allumée. Elle grésille mais elle fonctionne. Les nouvelles ne sont pas bonnes, on entend des mauvaises choses tous les jours. Les hommes mauvais s’en prennent de plus en plus aux albinos. Ces hommes sont sans scrupules, ils font ça pour l’argent. Ils croient qu’en enlevant ma fille et en revendant son corps, ils gagneront de l’argent. Ils sont des messagers du diable. »

Annie « Je sais que je ne suis pas en sécurité. Mais je vais quand même jouer dehors avec mes amis. J’adore jouer avec eux, ils sont gentils avec moi. Et puis, à l’école aussi, les enfants sont gentils avec moi. J’ai plein d’amis à l’école. Vous voulez que je vous dise quelque chose ? Je suis forte à l’école. C’est une qualité des albinos, ça, j’en suis sûre. Je suis meilleure que les autres. Je travaille beaucoup, tous les soirs. J’adore travailler ! D’autres enfants n’arrivent pas à travailler, moi j’y arrive et je suis heureuse d’étudier. C’est bien d’être albinos aussi, on peut travailler dur alors que les autres enfants n’y arrivent pas. »

Amon « Annie est une des premières de sa classe. Elle fera des grandes choses plus tard. Mais il faut savoir que si elle travaille beaucoup, c’est qu’elle doit rester à la maison tout le temps. Je ne veux pas qu’elle sorte seule. Je l’accompagne à l’école le matin, puis je vais en ville travailler, et je repasse par l’école le soir la chercher. Je n’ai pas le temps de l’accompagner ailleurs, alors on reste là tous les deux quand elle ne va pas à l’école. Je ne veux pas la laisser seule, ici ou ailleurs, surtout depuis que sa mère est partie. Alors elle reste ici, et elle travaille. »

Annie « Maman est morte il y a deux semaines. On l’a enterré lundi dernier avec Papa. C’est elle qui s’occupait de moi avant. Maintenant elle n’est plus là. C’est Dieu qui a voulu ça, c’est comme ça. Regardez le poster là, c’est Jésus. Il m’aime et il m’aide beaucoup. On est trois maintenant, Papa, Jésus et moi.

Le soir, je lis. Je pense à Maman quand je lis. Je lis la Bible, j’aime bien lire la Bible. Il y a des belles histoires dans la Bible. Dans l’évangile selon saint Jean, Jésus dit : “Si tu m’aimes, tu garderas ma parole. Nous viendrons avec Dieu et nous établirons demeure chez toi.” Ça me fait plaisir de lire des choses comme ça.

Je serai infirmière plus tard. Je veux aider les hommes et les soigner. J’ai eu la chance d’être aidée par mes amis, par Dieu et mes parents. Je voudrais que tout le monde soit aidé comme ça. »

Amon « Le décès de la mère d’Annie fait partie des plans de Dieu. On se retrouvera au paradis tous les trois. »

Annie « Papa me dit de ne pas dire ça, mais je me sens honteuse d’être albinos. Ce n’est pas normal que je doive vivre avec des gens qui font tout le temps attention à moi. Ce n’est pas normal que des hommes soient méchants avec moi. Alors je demande à Dieu pourquoi, je veux comprendre. »

Le sommaire de notre série Les albinos du Malawi racontent leur quotidien