A La Madeleine (Nord), il ne faut pas choquer les adversaires de l’homoparentalité. Une affaire datant de 2014, restée secrète, a été jugée au tribunal administratif de Lille mardi 28 février. Yveline Perroy, responsable du pôle enfance de la médiathèque, défendue par MCamille Briatte, contestait sa suspension de trois jours pour avoir défendu un livre jeunesse sur l’homoparentalité.

En cause, le positionnement trop voyant, selon le maire (LR), Sébastien Leprêtre, d’un livre pour enfants, Tango a deux papas, sous-titré Et pourquoi pas ? L’ouvrage de Béatrice Boutignon, paru en 2010 (Le baron perché) et réédité en mars 2014, est tiré d’une histoire vraie : en 1998 deux manchots mâles avaient couvé un œuf abandonné et donné naissance à un petit, dans le zoo de Central Park à New York.

A l’époque, le directeur général des services de La Madeleine, Vincent Eeckeman, avait exigé que ce livre soit positionné dans les rayons plutôt qu’en tête de gondole – pourtant la règle pour un livre considéré comme nouveau. Un livre pour enfant sur la transsexualité placé à hauteur d’enfants avait déjà fait réagir des usagers.

« Sujets susceptibles de choquer le public »

Mme Perroy et ses collègues se sont exécutés mais ils ont contesté cet ordre lors d’une réunion interne. D’autant que l’adjointe à la culture, Evelyne Bizot, avait laissé entendre que des usagers de confession catholique vérifiaient les collections. Alors que le personnel cherchait à savoir quels livres étaient « interdits », il leur fut répondu qu’il s’agissait de « sujets sensibles susceptibles de choquer le public », comme l’a noté le rapporteur public Denis Perrin.

En réalité, il s’agissait de l’homoparentalité et du mariage pour tous. Pour Mme Perroy, ce genre de réaction pouvait « s’apparenter à de l’homophobie, et même à Hénin-Beaumont [ville dirigée par le Front national], cela ne se passe pas comme cela », note encore M. Perrin. A ses supérieurs qui lui demandaient si elle oserait répéter cela devant le maire, elle a répondu « oui ». Le 27 novembre 2014, Mme Perroy était suspendue trois jours, sans salaire. Pour la mairie, ses propos revenaient à traiter M. Leprêtre d’homophobe, et à le comparer au Front national.

Mardi, le rapporteur public a estimé la sanction injustifiée, prenant en compte que les propos de Mme Perroy « avaient été tenus dans une réunion interne, dans un contexte de tension entre la mairie et les employés ». Il a rappelé que des fonctionnaires « pouvaient légitimement critiquer dans ce cadre le fonctionnement de leur service, dans des propos sans invectives ». Et il a conclu par le « caractère légal du livre, comme est légal en France le mariage entre personnes du même sexe », « la consigne municipale pouvant s’apparenter dans ce cas à un ordre illégal ».

Contexte particulier

La médiathèque de La Madeleine, bâtiment neuf et lumineux derrière la façade préservée de l’ancien poste de police municipal, a été ouverte en novembre 2013 après recrutement spécifique. Selon la mairie, sa fréquentation est excellente.

Deux arrêtés de Sébastien Leprêtre ont fait du bruit en 2011 et en 2014 : le maire avait fait traduire en roumain et bulgare ses textes contre la mendicité, puis il avait interdit les « tenues indécentes » dans des rues concernées par la prostitution. Le tout dans un contexte local particulier. Anne Soubrier, ex-adjointe à l’enfance de 2008 à 2014, toujours conseillère municipale et communautaire, mère de huit enfants, est la représentante régionale de Christine Boutin. On a vu cette chrétienne démocrate en avril 2013 à Paris aux côtés du frontiste Gilbert Collard au premier rang de La Manif pour tous. Les Associations familiales catholiques sont très présentes dans cette partie de la métropole, avec des personnes comme la Madeleinoise Albane Cassagnou, référente à Lille des chantiers éducation. Civitas et l’association Promouvoir sont aussi bien implantés.

Si cette affaire n’a pas été révélée plus rapidement, c’est parce que la mairie a interdit à ses employés tout contact avec La Voix du Nord… Mme Perroy, par devoir de réserve, ne pouvait s’exprimer. Le directeur des ressources humaines de la mairie, Antoine Mobailly, a refusé de répondre à nos questions. La présidente de la séance, Sophie Bergerat, a mis l’affaire en délibéré.