Plan du projet Texas LNG. Le terminal serait construit notamment sur une zone humide. | Save RGV from LNG /Rainforest Action Network

L’association des Amis de la terre, dans un rapport publié mercredi 1er mars, en collaboration avec Rainforest Action Network et Save RGV from LNG (Save Rio Grande Valley from liquefied natural gaz), une association communautaire locale, accuse la banque française BNP Paribas de continuer à financer des projets liés aux énergies fossiles. BNP Paribas soutiendrait le financement d’un terminal d’exportation de gaz de schiste, Texas LNG, situé dans la vallée du Rio Grande, aux Etats-Unis. « Si la BNP se retire, il y a peu de chances que le projet puisse être mené à son terme », espère Lucie Pinson, chargée de campagne des Amis de la terre.

Texas LNG est un des soixante projets de terminaux d’exportation de gaz naturel liquéfié proposé par l’industrie en Amérique du Nord afin d’écouler la surproduction de gaz de schiste, expliquent les trois ONG. Et selon elles, la banque serait au cœur du processus de financement, cherchant les fonds pour ce projet de liquéfaction et d’exportation, « d’un coût d’environ de deux milliards de dollars ». Ce projet menacerait l’économie, les emplois locaux et constituerait une menace pour l’ocelot, un félin déjà menacé.

« En août 2015, il n’y avait plus que 53 ocelots dans tout le Texas, et ils étaient nombreux dans la pointe sud de l’Etat, là où les installations pour l’exportation de GNL sont prévues », écrivent les auteurs du rapport, se référant aux chiffres donnés par l’administration fédérale en charge de la biodiversité (US Fish and Wildlife Service, juillet 2016).

Atteinte aux droits des peuples autochtones

Le coût sanitaire d’un tel projet serait lui aussi catastrophique, atteignant plusieurs millions de dollars. « Les répercussions de la pollution par les particules PM2,5 [particules fines dont le diamètre est inférieur à 2,5 micromètres] de Texas LNG sur la morbidité et la mortalité vont coûter au comté de Cameron [Pennsylvanie], de 75 millions à 187 millions de dollars [70,5 à 176 millions de dollars]. »

Ces calculs se basent sur une estimation du nombre de journées d’activité réduites ou perdues, sur les aggravations de l’asthme, les admissions supposées à l’hôpital pour des problèmes cardiovasculaires, autant de critères repris dans les méthodes de calcul de l’Agence de protection de l’environnement des Etats-Unis.

Et d’ajouter à ces menaces une atteinte aux droits des peuples autochtones et la destruction possible du site de Garcia Pasture, avec des emplacements de sépulture, entre autres. Toujours selon les ONG accusatrices, « la firme a oublié de contacter le groupe des Carrizo-Comecrudo du Texas, un peuple autochtone aussi connu sous le nom d’Esto’k Gna, qui est originaire du delta du Rio Grande dans le sud du Texas ».

L’organisation Save RGV from LNG et Rainforest Action Network dénoncent « l’hypocrisie de la banque » et l’avertissent « des retombées sur sa réputation aux Etats-Unis où BNP Paribas est présente via sa filiale de détail Bank of the West ». Le rapport précise que la filiale compte « plus de 600 agences presque toutes situées à l’ouest du Mississippi ».

Manifestation contre le projet de terminal d'exportation de gaz de schiste, Texas LNG, à South Padre Island (Texas) en avril 2015. | Photo : Save RGV from LNG

« Hypocrisie de la banque »

Les Amis de la terre rappellent qu’ils ont envoyé, avec deux autres organisations, un courrier à la BNP Paribas, le 27 octobre 2016, dans lequel, ils demandaient que la banque se désengage au plus vite du projet américain, disant apprécier « les premiers pas de la BNP Paribas vers un désengagement de l’industrie du charbon ». « La banque a aussi annoncé en janvier qu’elle se retirait du financement de toute nouvelle centrale à charbon, mais elle continue de financer des entreprises qui, elles, sont bien engagées dans des projets charbon », souligne Lucie Pinson, dénonçant un « double langage » et regrettant de n’avoir reçu aucune réponse à leur lettre.

De son côté, la banque, qui n’a pas encore réagi officiellement à la publication de ce nouveau rapport des ONG, tient à rappeler qu’elle s’est engagée « à multiplier par un peu plus de deux [ses] financements dans le domaine des énergies renouvelables, de 6,9 milliards de dollars en 2014 à 15 milliards en 2020 [6,1 à 14,2 milliards d’euros] ». « En janvier 2017, nos engagements se sont encore renforcés : nous avons annoncé notre décision de ne plus financer de projets de centrales à charbon quel que soit le pays dans lequel elles sont implantées, précise un porte-parole de la banque. Il s’agit donc d’une extension de notre engagement précédent qui ne portait que sur les pays à hauts revenus. Parallèlement, nous nous sommes engagés à ne plus prendre de mandat de conseil, à l’achat ou à la vente, pour un actif charbon (mine ou centrale) quel que soit le pays. »

BNP Paribas prête à « prendre en compte les informations » dans sa « réflexion »

BNP Paribas explique aussi qu’il ne sera plus possible d’initier une relation commerciale avec un client, dont plus de 50 % du chiffre d’affaires serait lié au charbon.

Quant à la question spécifique du projet Texas LNG, la banque tient à rappeler que « le mandat de conseil sur ce projet date d’avant la COP21 et l’élaboration de sa stratégie de financement de la transition énergétique ». Ayant pris connaissance, mardi soir, du rapport des Amis de la terre, elle a confié au Monde être prête à « prendre en compte les informations » dans sa « réflexion sur le financement des énergies non conventionnelles ».

Il n’est pas sûr que cela suffise aux ONG qui réclament un retrait pur et simple du projet et qui affirment, dans leurs conclusions, que cette source d’énergie fossile, le gaz de fracturation exporté, « est pire pour le climat que le charbon ».

Cette dénonciation des projets de la banque française se fait, par ailleurs, dans un contexte particulier. Les Amis de la terre préparent une confrontation judiciaire avec la banque française. Le 11 avril, à Bar-le-Duc (Meuse), le président de l’organisation, Florent Compain, sera jugé pour un fauchage de chaises, réalisé à Nancy en novembre 2015 dans une succursale de la banque, dans le cadre de la préparation de la COP21, la conférence sur le climat qui s’est tenue au Bourget au début de décembre 2015.

Il s’agissait alors de dénoncer l’évasion fiscale organisée par les banques, les comptes détenus dans des paradis fiscaux, soit, selon les ONG qui menaient la campagne, quelque « 1 000 milliards d’euros par an manquant aux budgets publics », à rapprocher des 100 milliards de dollars [94,5 milliards d’euros] nécessaires pour aider les pays du Sud à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et à s’adapter au changement climatique.