Jean-Claude Juncker, à Bruxelles le 24 septembre. | Martin Meissner / AP

Cinq scénarios pour l’avenir de l’Union : le président de la Commission de Bruxelles, Jean-Claude Juncker, devait présenter, mercredi 1er mars dans l’après-midi, devant le Parlement européen, un Livre blanc contenant ses propositions pour relancer le projet européen ou, en tout cas, tenter de redéfinir ce qu’il devrait être à l’avenir.

Le Luxembourgeois, qui a indiqué récemment qu’il ne briguerait pas de nouveau mandat en 2019, estime que le temps des tergiversations, des polémiques, des remises en question permanentes et du « shopping » – en référence au fait que les capitales peuvent décider d’appliquer, ou non, telle politique commune – a assez duré.

Dans son document sur les cinq scénarios, lu par Le Monde, M. Juncker ne retient pas « l’option 6 », celle d’une éventuelle désintégration complète du projet européen. Il sous-entend, en revanche, que, faute d’un choix clair, ce projet pourrait se résumer demain à un marché unique. Un plan qui ne doit évidemment pas avoir la préférence de ce fédéraliste convaincu, qui n’ignore toutefois pas que certains l’envisagent sérieusement. C’est donc l’une des options qu’il retient et qu’il soumet désormais aux chefs d’Etat et de gouvernement.

Maintenir à tout prix l’unité des Vingt-Sept

A côté du grand – et très improbable – « saut » vers une Europe fédérale, le président retient trois autres pistes possibles. La première consisterait à maintenir les choses en l’état : on poursuivrait simplement l’exécution de l’agenda et des projets actuels en redéfinissant les grandes priorités, comme cela avait été ébauché récemment à Bratislava par les chefs d’Etat et de gouvernement. Au passage, on tenterait de gommer les sujets les plus conflictuels, comme l’accueil et la répartition des réfugiés.

La deuxième piste est celle de « l’Europe à plusieurs vitesses ». Un concept maintes fois évoqué – y compris par Jacques Delors à l’époque où il présidait la Commission (1985-1995) – mais toujours flou. La chancelière allemande, Angela Merkel, l’a retenu il y a quelques semaines, les pays du Benelux ont signé un document commun reprenant cette idée. La relance pourrait s’opérer soit avec les six Etats fondateurs – mais quelle sera le profil politique de certains à l’avenir et leur réel degré d’enthousiasme pour l’Europe ? – soit par les pays membres de la zone euro.

Deux camps s’affrontent toutefois : celui qui estime qu’un tel « noyau dur » entraînerait les frileux et les réticents, et celui qui pense qu’une telle évolution ne ferait que creuser le fossé entre les plus déterminés et ceux qui, à l’est ou au sud, traînent déjà les pieds.

Lors d’une récente conférence devant des universitaires belges, M. Juncker a paru s’aligner sur la position de la chancelière allemande. « On l’a mal compris. Ce scénario ne lui apparaît pas comme totalement négatif, mais pas idéal non plus », affirme son entourage. Car le but du président est, avant tout, de maintenir à tout prix l’unité des Vingt-Sept. Son document est d’ailleurs, considère-t-il, « l’acte de naissance » de l’Europe sans les Britanniques, qui ont voté pour quitter l’Union.

La Commission insiste sur le fait que le Brexit est, désormais, « un problème pour les experts », les technocrates qui, sous la conduite de Michel Barnier, devront le régler soit par un accord à l’amiable, soit par un « hard Brexit ». D’ici là, Bruxelles veut considérer que le débat n’est plus politique et ne doit donc pas entraver la réflexion sur l’avenir de l’UE.

La troisième et dernière piste évoquée par M. Juncker est dite, dans le jargon bruxellois, « more or less » (« plus ou moins »). Les Européens décideraient des domaines à conserver au niveau communautaire et de retransférer les autres aux Etats membres. Mais les politiques à mener en commun seraient approfondies, vigoureuses, exemptes de conflits.

Une certitude : aucun des scénarios ne fait référence à la nécessité de nouvelles institutions ou d’une modification des traités. Bruxelles a compris – un peu tard ? – que de nombreux référendums ou élections récents ont surtout servi d’exutoire pour des citoyens soit hostiles, soit critiques à l’égard de l’Europe.

Propositions concrètes

La Commission espère convaincre ceux-là en publiant, dans la foulée de son Livre blanc, cinq projets au cours des prochains mois. Ils concerneront les effets de la mondialisation, le social, la défense, l’avenir financier de l’Union et, enfin, l’union économique et monétaire. Le but ? « S’adresser à ceux qui souffrent ou se demandent ce que fait l’Europe. » Avec une insistance sur ce qu’elle réalise, dans le domaine social notamment, et qui est souvent occulté par les gouvernements nationaux.

Plus généralement, Bruxelles va tenter de se démarquer de son discours technocratique en affirmant que ce qu’elle propose sera « concret, tangible », et non limité à une réflexion issue de centres d’étude ou autres think tanks.

M. Juncker, en voulant forcer les pays membres à assumer des choix européens clairs, entend être celui qui contribuera à esquisser l’avenir pour les dix années à venir. Il espère aussi, visiblement, faire taire toutes les rumeurs et ballons d’essai sur son éventuelle démission. Et, même s’il n’affirme pas clairement sa préférence pour l’un ou l’autre des scénarios qu’il ébauche, reprendre la barre d’un navire soumis à rude épreuve depuis plusieurs mois.

Le fédéraliste est, contraint et forcé, devenu réaliste.