Troublée par le tir accidentel d’un gendarme qui a blessé légèrement deux personnes, l’inauguration de la ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux, mardi 28 février, fera date dans l’histoire des chemins de fer. Mais pas en raison de cette surprenante maladresse.

Sous un chapiteau dressé sur la base de travaux de Villognon (Charente), François Hollande a dévoilé la plaque qui témoigne de la fin d’un chantier titanesque. Cinq années qui ont abouti à la construction des 300 kilomètres de la nouvelle voie ferrée Sud Europe Atlantique (SEA). Elle sera ouverte au public le 2 juillet. Paris sera à deux heures de Bordeaux au lieu de trois heures quatorze actuellement.

Ce rétrécissement du territoire n’est pas la seule nouveauté. Pour la première fois dans l’histoire du rail contemporain français, le gestionnaire de l’infrastructure d’une ligne de chemin de fer sera une entreprise privée – Lisea – dont les principaux actionnaires sont le géant des BTP, Vinci, et la Caisse des dépôts.

Coût global de 9 milliards d’euros

Le modèle autoroutier du partenariat public-privé (PPP) et, plus précisément, de la concession, a prévalu dans le montage d’un projet au coût global de 9 milliards d’euros, 7,8 milliards pour la LGV proprement dite et 1,2 milliard pour les aménagements. Ce qui porte à 130 millions d’euros chaque minute gagnée entre la cité girondine et la capitale.

La société concessionnaire Lisea, désignée en 2011 pour une durée de cinquante ans, a pris en charge la conception et la construction de la ligne. L’entreprise contrôlée par Vinci en assurera l’exploitation, la maintenance et touchera les péages. Lisea a apporté une petite moitié des 7,8 milliards nécessaires à la construction de la LGV, la puissance publique a financé les 4 milliards restant.

« La concession, ça marche »

Dans l’affaire, la SNCF – par le biais de sa filiale Réseau – a mis 1 milliard dans le financement initial, contrôlé les travaux et assumé en propre les dix raccordements aux villes desservies. Coût total pour la compagnie ferroviaire : 2,2 milliards d’euros. Lors de l’exploitation, la société nationale tiendra les postes d’aiguillage pour le compte de Lisea et fera rouler les trains contre un péage de 7 000 euros en moyenne par voyage.

Et c’est là que les frottements commencent. Entre Guillaume Pepy et Xavier Huillard, les deux patrons au caractère bien trempé de la SNCF et de Vinci, le partenariat a souvent fait des étincelles. M. Pepy considère que les perspectives de hausse du trafic sont dangereusement élevées, que trop de trains vont rouler (18,5 allers-retours par jour) au détriment de la rentabilité et que cette ligne lui fera perdre 90 millions d’euros dès 2017.

« Envisager la profitabilité sur le temps long »

« La concession, ça marche, répond le PDG de Vinci. Mais il faut envisager la profitabilité sur le temps long. Certains de nos projets perdent de l’argent pendant vingt ans. Mais au-delà, la rentabilité est là. » « Il faudra prendre le temps d’évaluer la pertinence du modèle, ajoute Patrick Jeantet, PDG de SNCF Réseau. Et comparer avec la méthode employée sur la LGV Le Mans-Rennes. »

Pour cette autre voie à grande vitesse nouvelle, qui ouvrira en même temps que la ligne Tours-Bordeaux, le PPP n’a pas pris la forme d’une concession. C’est SNCF Réseau qui encaissera les péages et versera un loyer à son prestataire, en l’occurrence Eiffage.

Temps long ou pas, les travaux de la ligne SEA ont été menés à bien en un temps record et achevés avec un mois d’avance. Malgré des contraintes fortes édictées lors du Grenelle de l’environnement. « Nous avons dû réaménager 3 500 hectares de nature pour compenser écologiquement le chantier, explique Laurent Cavrois le PDG de Lisea. C’est presque autant que la ligne elle-même. »