François Fillon a réaffirmé, mercredi 1er mars, qu’il maintenait sa candidature à l’élection présidentielle. | Francois Mori / AP

« Je ne céderai pas, je ne me retirerai pas ! » François Fillon a confirmé, mercredi 1er mars, qu’il maintenait sa candidature à l’élection présidentielle, malgré sa convocation le 15 mars par les juges d’instruction « aux fins de mise en examen ». Que signifie cette convocation ? Que va-t-il se passer ensuite ? Explications.

  • François Fillon sera-t-il mis en examen ?

Très probablement, mais rien n’oblige les juges à le mettre en examen. L’ancien premier ministre a été convoqué « aux fins de mise en examen » par les trois magistrats instructeurs du pôle financier, par lettre recommandée avec accusé de réception. Une lettre postée très vite, probablement dès lundi 27 février, alors qu’ils n’ont été désignés que le 24 février.

François Fillon pouvait refuser – comme Marine Le Pen l’a fait – de se rendre à cette convocation : il n’est pas possible de le contraindre par la force en raison de l’article 26 de la Constitution, en raison de son immunité parlementaire. Mais il est candidat à la fonction de président de la République, le garant des institutions. Il lui était donc difficile de ne pas répondre à la convocation.

La réception de ce courrier ouvre une période de dix jours durant laquelle les avocats de M. Fillon vont pouvoir prendre connaissance de l’enquête préliminaire conduite par le parquet national financier (PNF), jusqu’ici secrète. C’est bien pour cela que les juges entendaient aller vite : les avocats ont ainsi jusqu’au 10 mars pour étudier le dossier, avant le dépôt officiel des candidatures à la présidentielle, le 17 mars.

  • Que vont faire les juges ?

Les magistrats instructeurs vont exposer à François Fillon les charges recueillies contre lui lors de l’enquête préliminaire, lui indiquer qu’il peut soit se taire, soit faire une déclaration spontanée, soit répondre aux questions. L’audition peut durer des heures, voire des jours. Ses avocats, Mes Antonin Lévy et François Cornut-Gentille, pourront après l’audition faire « des observations », voire déposer un mémoire qui rassemble leurs objections à la procédure – enquête illégale, atteinte à la séparation des pouvoirs, etc.

Les juges prendront ensuite une décision. Soit les explications de François Fillon les ont convaincus et ils indiqueront au procès-verbal qu’il n’existe aucune charge sérieuse, et l’affaire sera close. Soit ils estimeront qu’il existe « des indices graves et concordants » de « détournements [au pluriel] de fonds publics, d’abus de biens sociaux, trafic d’influence et manquement aux obligations déclaratives devant la Haute autorité de la vie publique », et François Fillon sera mis en examen. Soit, enfin, ils placeront l’ancien premier ministre sous statut de témoin assisté.

Quand François Fillon affirmait qu’il se retirerait en cas de mise en examen
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  • François Fillon peut-il être témoin assisté ?

C’est le combat majeur de la défense, et la seule carte qu’elle peut jouer à ce stade. Une personne est placée sous statut de témoin assisté, depuis la loi du 15 juin 2000, si elle est mise en cause dans une instruction judiciaire mais qu’on ne lui reproche pas la commission d’une infraction (article 113-1 et suivants du code de procédure pénale). Elle a alors les mêmes droits qu’un mis en examen sans être mise en examen, et ne sera pas renvoyée devant un tribunal.

Obtenir ce statut serait une belle victoire pour la défense, et on peut compter sur Me Cornut-Gentille, fin procédurier, pour affûter ses arguments. Le cas s’est déjà produit. Nicolas Sarkozy, convoqué pour une mise en examen dans l’affaire de ses comptes de campagne de 2012, a finalement été placé sous statut de témoin assisté le 1er avril 2015, après une longue audition.

  • De quoi disposent les juges au 1er mars ?

En tout et pour tout de l’enquête préliminaire, soit un mois d’enquête à marche forcée de l’un des trois groupes de policiers de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), sis à Nanterre (Hauts-de-Seine). Les juges ont nécessairement épluché le dossier pendant le week-end, les policiers n’ayant même pas eu le temps de produire un rapport de synthèse de tous ces éléments, ce qui est inhabituel en procédure. Il reste probablement des actes d’enquête à mener, des confrontations, d’autres auditions à conduire.

A la fin de l’instruction, après avoir levé tous les obstacles juridiques, les juges décideront d’un non-lieu ou renverront François Fillon devant un tribunal correctionnel.

  • Est-ce, comme le dit François Fillon, une enquête à charge ?

Nécessairement. A la suite des révélations du Canard enchaîné sur de possibles délits, le travail des policiers était de vérifier si la femme de M. Fillon, Penelope Fillon, et ses enfants ont bénéficié d’emplois fictifs. Les éléments apportés par la défense de la famille Fillon ne les ont pas convaincus, pas plus que le parquet national financier, qui a estimé que les charges étaient suffisantes pour ouvrir une information.

Jusqu’à une éventuelle condamnation définitive – c’est-à-dire après un possible pourvoi en cassation –, François Fillon est naturellement présumé innocent. Les magistrats instructeurs devront, eux, instruire « à charge et à décharge ».

Penelope Fillon n’est pas en garde à vue

Penelope Fillon, la femme du candidat de la droite à la présidentielle, n’a pas été placée en garde à vue dans le cadre de l’enquête sur les emplois présumés fictifs dont elle aurait bénéficié.

Un journaliste de Mediapart avait tweeté l’information, mercredi 1er mars, avant de la démentir sur le réseau social.

  • François Fillon n’a-t-il pas pu se défendre ?

Non, effectivement. L’enquête est secrète jusqu’à la convocation du mis en examen, qui permettra à ses avocats (et à eux seuls, théoriquement, ce serait un délit de le diffuser) d’avoir accès au dossier réuni par l’accusation. Plusieurs gouvernements successifs, de droite comme de gauche, ont sensiblement augmenté les pouvoirs des parquets et réduit les droits de la défense. Les procureurs ont même un « quasi-pouvoir » de juridiction et gèrent, au niveau national, 97 % des dossiers, contre 3 % pour les juges d’instruction.

Ce ne peut pas être une surprise pour François Fillon, qui rappelle volontiers qu’il est parlementaire depuis trente-deux ans : il a voté la plupart des lois renforçant la répression, mais pas les lois sur la transparence de la vie publique.

  • Quel est désormais le rôle du parquet ?

Mineur. L’ouverture de l’information confiée aux trois juges le décharge entièrement de la conduite de l’enquête. Les magistrats instructeurs peuvent éventuellement discuter du dossier avec le parquet, lui demander un réquisitoire supplétif (supplémentaire) s’ils découvrent un élément nouveau. Mais il semble que les trois magistrats n’aient même pas averti le parquet financier de l’envoi de la convocation de M. Fillon – la méfiance entre le siège (« les juges qui jugent » ou qui instruisent) et le parquet (le ministère public, les procureurs) n’est pas générale, mais elle n’est pas si rare.

  • Quels sont les recours des avocats de François Fillon ?

L’ancien premier ministre s’est plaint mercredi 1er mars que ses avocats se soient vus refuser l’accès à la chambre de l’instruction pour contester l’enquête. L’argument ne tient guère : la chambre ne peut être saisie qu’après la mise en examen de M. Fillon. Ce sera possible dès le 16 mars. Les délais devant la chambre de l’instruction à Paris sont particulièrement longs, de douze à quatorze mois en moyenne.

Mais le président (la présidente) peut décider de statuer en urgence, voire de stopper l’instruction le temps de prendre sa décision. Le cas s’est produit pour Nicolas Sarkozy : la chambre de l’instruction, réunie à huis clos par sa présidente, Edith Boizette, avait décidé le 24 septembre 2014 de « geler » l’instruction dans l’affaire des écoutes de l’ancien président pendant huit mois. Sans que cela présume de sa décision, puisque l’information judiciaire a finalement été poursuivie.

  • Et la Cour de cassation ?

Si la décision de la chambre de l’instruction ne donne pas corps aux arguments de la famille Fillon, leurs avocats peuvent alors se pourvoir en cassation. Là encore, les délais sont longs, mais le président de la chambre criminelle de la Cour peut lui aussi se saisir du dossier en urgence.

Les avocats peuvent enfin à tout moment déposer une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour examiner si tel ou tel article du code de procédure pénale est bien conforme à la loi suprême. La QPC sera transmise à la Cour de cassation, qui jugera si elle est « nouvelle et sérieuse », et la transmettra dans ce cas au Conseil constitutionnel. Mais pendant tous ces recours, qui peuvent prendre des années, François Fillon restera mis en examen.

  • Y a-t-il une « trêve républicaine » ?

La trêve républicaine consiste en un gel momentané des investigations pendant les périodes électorales. Aucun texte ne la prévoit, le cas s’est déjà produit, mais ce n’est pas une habitude. La poursuite de l’enquête pendant la campagne est à double tranchant : l’opinion publique et les partisans de François Fillon peuvent considérer que les juges sabotent à dessein la campagne ; les magistrats peuvent estimer qu’en raison de la séparation des pouvoirs, l’autorité judiciaire n’est en rien soumise au calendrier électoral et que ce serait plier devant le pouvoir exécutif ou législatif que de se l’imposer alors qu’aucun texte ne l’exige.

En vidéo : François Fillon déclare qu’il ne se retirera pas
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