Dans l'une des chambres du presbytère qui attend la famille sud-soudanaise, des meubles et des couvertures ont été installés par les paroissiens et les bénévoles associatifs de Bugeat. | Sandra Mehl pour Le Monde

La famille R., appelons-la ainsi, est originaire du Soudan du Sud. A la fin des années 1990, en pleine guerre civile, elle a suivi le chemin classique de l’exil, qui passe par Khartoum et l’Egypte avant de parvenir, en 2006 ou 2007, à franchir la frontière israélienne dans le Sinaï.

La famille R. a eu de la chance. A la fin de l’année 2011, l’édification d’une clôture de sécurité à la frontière entre Israël et l’Egypte a stoppé net le flux de réfugiés africains dans l’Etat hébreu, dont le nombre s’élevait à cette date à près de 50 000. Israël ne reconnaît pas la notion de « réfugié politique ». Selon l’ONG Hotline for Refugees and Migrants, seules 0,15 % des demandes d’asile ont été acceptées, entre 2009 et août 2013. Depuis, aucune inflexion n’a été notée. L’expression généralisée pour parler des migrants – les « infiltrés » – était à l’origine réservée aux Palestiniens entrant en Israël pour y commettre des attentats.

La famille R. est composée de neuf personnes, dont une jeune femme, Sarah*, née il y a trente ans à Maridi, une ville peuplée de chrétiens, située à 300 kilomètres à l’ouest de Juba, la capitale du Soudan du Sud. Ses quatre enfants sont nés au long de l’exil : l’aîné au Caire, les trois autres, trois filles, en Israël. La plus jeune aura 2 ans cet été. Sarah est accompagnée de sa mère, de deux de ses frères et d’une sœur de 18 ans, Judith*, une sportive de haut niveau, remarquée en Israël. Les trois frères et sœurs de Sarah sont nés à Khartoum, au Soudan, ce qui laisse imaginer la longue errance de la famille en quête d’un point de chute.

Situation fragile

Aujourd’hui, la famille R. est déchirée. Sa situation en Israël, où elle survit à la marge, reste très fragile. Le visa de chacun de ses membres doit être renouvelé tous les deux mois, et ils n’ont pas droit aux prestations sociales. Si bien que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) l’a identifiée comme vulnérable et lui a cherché un autre pays d’accueil – la France en l’occurrence. Mais, au sein de la famille, certains des jeunes, qui ont appris l’hébreu et se sont fait des amis israéliens, hésitent à tout recommencer en Corrèze. Les plus âgés, eux, sont ravis par l’offre française, mais refusent de voir leur famille divisée entre Bugeat et Tel-Aviv. « Il faut davantage de temps à cette famille pour décider de son avenir », estime le HCR.

La tendance en Israël est pourtant au durcissement. Le pays ne peut pas renvoyer par la force des demandeurs d’asile ayant un visa, mais fait tout pour les inciter à partir, avec notamment la menace de rétention dans le camp de Holot, dans le désert du Néguev, où sont passées près de 10 000 personnes depuis trois ans. L’effet dissuasif est très fort. Depuis son ouverture, près de 12 000 Erythréens et Soudanais ont quitté le pays, notait le quotidien Haaretz en décembre 2016.

La Knesset a aussi adopté, il y a deux mois, un amendement à la loi sur l’entrée illégale en Israël. Il prévoit que les demandeurs d’asile ayant un emploi ne touchent que 80 % de leur salaire. Le reste sera gelé dans un fonds d’Etat et restitué au moment du départ. Les autorités offrent par ailleurs un billet d’avion aller simple et 3 500 dollars pour les demandeurs d’asile qui consentent à plier bagage.

En 2016, les Soudanais ont été les premiers demandeurs d’asile en France, avec 5 868 demandes, selon la Direction générale des étrangers en France. A Calais, ils constituaient la première nationalité des migrants présents dans la « jungle ». Peu à peu, une petite diaspora soudanaise se crée en France.

* prénoms modifiés

500 jours, 25 migrants, 4 journaux, 1 projet

Pendant un an et demi, quatre grands médias européens, dont Le Monde, vont raconter chacun l’accueil d’une famille de migrants. Le projet s’appelle « The new arrivals ». A Derby, au nord de Londres, c’est la vie d’un agriculteur afghan et de son fils que décrira le Guardian. A Jerez de la Frontera, en Andalousie, El Pais suivra une équipe de foot composée de migrants africains. A Lüneburg, près de Hambourg, Der Spiegel va chroniquer le quotidien d’une famille de huit Syriens.

Comment vont se tisser les liens de voisinage ? Les enfants réussiront-ils à l’école ? Les parents trouveront-ils du travail ? Les compétences de ces migrants seront-elles mises à profit ? L’Europe les changera-t-elle ou changeront-ils l’Europe ?

Ce projet, financé par le European Journalism Centre, lui-même soutenu par la Fondation Bill & Melinda Gates, permettra de répondre à ces questions – et à bien d’autres.