Femia à la maternité. Elle vient d’accoucher d’une petite fille, son huitième enfant, qu’elle a décidé de prénommer Joyeuse. | Amaury Hauchard/Le Monde

Femia Tchulani habite à Machingiri, en banlieue de Blantyre, la capitale économique du Malawi. La rencontre a eu lieu à l’hôpital Queen-Elizabeth, à Blantyre, où Femia est venue accoucher de son huitième enfant. Le bébé est né quelques heures avant l’entretien, mais Femia a tenu à témoigner. Face aux menaces d’enlèvement, Femia a dû cesser de travailler. Elle veut donc rester le plus longtemps possible à la maternité, où elle se sent en sécurité et où le nouveau-né est correctement nourri.

Présentation de notre série : Les albinos du Malawi racontent leur quotidien

« C’est une fille. Elle est belle, n’est-ce pas ? Elle s’appellera Joyeuse. Je veux qu’elle ait une bonne vie, je veux qu’elle soit heureuse. Elle est mon huitième enfant, mais je ne sais pas comment je vais l’élever. Je ne gagne pas assez d’argent pour la faire grandir. Ça va être compliqué.

L’hôpital n’a pas voulu pas me prescrire de contraceptif. Ils ont peur de ma peau. Ils ne me l’ont pas dit, mais je le sais. Elle n’a aucun problème ma peau, je suis juste albinos. Je n’ai pas de maladie spéciale, je leur ai dit. Mais le médecin ne veut pas que je prenne la pilule, il m’a dit qu’elle pourrait abîmer ma peau. Moi je pense que c’est faux, mais tant pis. J’ai huit enfants.

Ça me donne le sourire d’avoir Joyeuse dans les bras. Je suis mère, encore une fois, et j’aime ça. Ce n’est pas tout le temps comme maintenant. J’ai peur chez moi, je ne suis pas heureuse. Dans mon village, les hommes ont essayé de m’enlever. C’était le 6 février 2015.

Cinq hommes sont venus. Ils ont dit à mon mari qu’ils étaient policiers, ils ont voulu m’embarquer dans leur voiture. Elle n’avait pas de plaque, cette voiture. Et ils n’avaient pas l’air de policiers… Mon mari a compris qu’ils étaient des mauvais hommes.

Le chef de mon village est arrivé, et m’a dit que je devais les suivre. Mon mari a répondu qu’il voulait venir avec moi dans la voiture et m’accompagner au commissariat. Mais ils ont refusé, ils ne voulaient pas. Les hommes m’ont tiré hors de ma maison, ils m’ont mis dans la voiture.

Mon mari a crié, il a appelé nos voisins. Il a dénoncé ce qu’il se passait. C’était un guet-apens. Ces hommes et le chef du village voulaient m’enlever. Tout le monde est venu autour de la voiture, et les hommes ont dû repartir. Le chef de village est reparti chez lui aussi, mais je sais qu’il est complice. Un voisin m’a dit qu’il l’a revu avec les hommes méchants, dans un bar, il y a quelque temps.

« Je ne suis pas un fantôme »

Depuis ce moment, je sais que les hommes attendent un moment où mon mari ne sera pas là pour venir me faire du mal. Ils rôdent autour de chez moi. Je dois continuer à vivre dans ce village, je n’ai pas l’argent pour partir. Je vis, mais j’ai peur. La semaine dernière, ils ont jeté une pierre sur la porte de la maison. Il y a un mois, des tôles du toit ont été levées pendant la nuit. Tout ça, je pense que c’est l’œuvre des hommes.

Je ne veux plus sortir de chez moi. Avant, j’allais au marché vendre des petits objets, c’est fini maintenant. Les hommes me disent que je suis un fantôme, ils m’insultent avec des noms vulgaires. Comme les hommes croient qu’ils pourront revendre mes os, ils me disent que je suis de l’argent. Je ne suis pas de l’argent. Je ne suis pas un fantôme, je ne suis pas une woyera [« blanche » en langue chichewa]. Alors je ne sors plus, je préfère rester chez moi, et je veille sur mes enfants. Ils ne sont pas albinos, heureusement pour eux.

Personne ne fait rien pour moi. Seuls Dieu et mon mari me protègent, les autres ne font rien. La police est corrompue et ne viendra pas me sauver, je le sais. Il faut que le gouvernement prenne des décisions pour les albinos. Ce n’est pas une vie normale que nous vivons. Ce qu’ils ont fait jusqu’à maintenant ne sert à rien, il y a encore eu un meurtre il y a deux semaines. C’est tout le temps, ça ne s’arrête jamais. »

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