Eléphant dans le Chobe National Park, au Botswana. | CHRIS JEK / AFP

De l’éléphant, on avait l’habitude de vanter la mémoire, de craindre la colère, de respecter la force. Au chapitre des clichés – néanmoins réels –, il faudra désormais ajouter les nuits courtes. Une équipe de l’université du Witwatersrand, à Johannesburg (Afrique du Sud), a publié, mercredi 1er mars, dans la revue PloS One, une étude qui analyse le sommeil du gros mammifère à l’état sauvage. Sa conclusion est sans appel : le pachyderme constitue le plus petit dormeur connu du règne animal, avec une moyenne de deux heures de sommeil par nuit.

Cette place, tout en haut du podium, ne constitue pas une surprise absolue. « Les différentes études conduites jusqu’ici ont permis de montrer que plus les animaux sont grands, moins ils dorment », souligne le neuroscientifique Paul Manger. Auteur principal de l’article, le chercheur sud-africain d’origine australienne a ainsi analysé, depuis dix ans, le sommeil de différentes espèces de la savane, récemment les oryx ou les gnous. « Plus les animaux passent de temps à manger, moins ils en gardent pour dormir, explique-t-il. Pour la même raison, les herbivores dorment moins car ils doivent ingérer davantage de nourriture pour engranger la même quantité d’énergie. » Les modèles laissaient ainsi prévoir des nuits de 2,4 à 2,8 heures.

Second indice : quelques équipes avaient précédé les chercheurs de « Wits ». Diverses études conduites en captivité attribuaient à l’animal quatre à six heures de sommeil quotidien. « Mais les animaux qui ne cherchent pas leur nourriture et ne craignent pas les prédateurs dorment toujours beaucoup plus, rappelle Paul Manger. Trois études avaient été réalisées dans les années 1960 et 1970 sur des animaux sauvages. Elles laissaient penser que les animaux dormaient entre trois et quatre heures. Mais elles étaient incomplètes et se bornaient à observer les animaux. »

Actigraphes et gyroscopes

Cette fois, les chercheurs ont équipé deux femelles du Chobe National Park, au Botswana, de capteurs. Des actigraphes ont été placés sous la peau de leur trompe, afin d’enregistrer leurs mouvements accélérés. Le même type d’équipements est placé sur le poignet des humains souffrant de troubles du sommeil pour analyser leur biorythme. Les pachydermes ont également été munis d’un gyroscope, afin de pouvoir différencier les stations debout et couchées. « Nous ne voulions pas utiliser des électrodes, qui sont très délicates à installer et très intrusives pour les animaux, souligne le chercheur. Nos résultats sont les meilleurs possibles compte tenu de la technologie dont nous disposons. »

Ils sont spectaculaires. Sur les trente-cinq jours de suivi, les animaux ont dormi une moyenne de deux heures par nuit. « Nous avions fait un pari avant l’étude. Le seul qui avait prédit un résultat aussi bas était un étudiant », sourit Paul Manger. L’éléphant abaisse en effet largement le record jusqu’ici détenu par le cheval domestique (2h53), suivi du poney (3h20) et la girafe (4h35 en captivité). Deuxième découverte : l’animal est un adepte régulier des nuits blanches. Une femelle a même été enregistrée éveillée pendant quarante-six heures et vingt-et-une minutes… sans rattraper son sommeil la nuit suivante. Ces événements ont été associés à la présence d’une meute de lions, de braconniers ou encore de mâles en musth, cet état d’intense agitation lié à des bouffées hormonales qui transforment les éléphants en dangers publics.

Troisième résultat, « notre plus grande surprise », affirment les chercheurs sud-africains : les éléphants sauvages dorment essentiellement debout. Ils ne se couchent qu’une nuit sur trois ou quatre. Or, c’est couché que l’animal peut développer son sommeil paradoxal. Cet état, caractérisé notamment par de rapides mouvements oculaires et une atonie musculaire, permet la production de rêves. Il jouerait également un rôle essentiel dans la fixation de la mémoire. « Comment expliquer alors la mémoire légendaire de l’éléphant ?, interroge Paul Manger. Je crois que nos collègues spécialistes de la question vont avoir un peu de boulot. »

Enfin, dernier constat : l’éléphant ne tient pas du coucou suisse. La plage horaire pendant laquelle il dort change chaque nuit. Elle dépend des conditions météorologiques, à savoir l’humidité, la température et le vent. « Cela pourrait intéresser les médecins qui traitent les troubles du sommeil chez l’humain », veut croire Paul Manger.

Etude sur des matriarches

L’équipe de Wits ne fait pourtant pas que distribuer du travail aux autres. Elle-même va remettre l’ouvrage sur le métier. « L’étude est passionnante, novatrice, offre les premiers résultats fiables sur des animaux sauvages, mais elle mérite d’être confirmée sur un échantillon plus important », commente ainsi Josh Plotnik, professeur assistant de psychologie à la City University de New York et spécialiste du comportement des éléphants.

Les chercheurs sud-africains ont en effet concentré leurs recherches sur les femelles, car celles-ci sont moins mobiles – élément essentiel sur ce territoire partagé entre trois pays. Ils vont maintenant inclure les mâles à l’étude. En outre, les deux femelles suivies étaient des matriarches, autrement dit, les cheffes de leurs groupes d’une dizaine d’individus. « Il est probable qu’elles dorment moins que les autres, admet Paul Manger. Nous allons tester plusieurs animaux dans une même horde, avec des âges différents. »

Les Sud-Africains voudraient enfin mieux étudier la phase « paradoxale », chez l’éléphant mais aussi chez d’autres animaux. Parvenir à interpréter cette proportion de 12 % à 15 % de l’ensemble du sommeil parmi les pachydermes, là où leurs cousins lamantins affichent un petit 1 % et les chevaux un joli 25 %. Chez les humains, l’estimation habituellement retenue tourne autour de 20 %. L’homme, gros dormeur et gros rêveur ? Pour les éléphants, ça ne fait pas un pli.