Rares sont les dialogues que l’on peut comprendre sans parler anglais. | Finji

Le mois de mars commence à peine que déjà, le joueur moyen a sauvé cette année deux univers, une demi-douzaine de planètes, et une centaine de princesses en détresse. Les occasions de souffler se font rares. Celles de s’ennuyer ne semblent plus qu’une perspective lointaine. Que ces joueurs se rassurent : les développeurs de Night in the Woods ont pensé à eux.

Sorti le 21 février sur PC (et le 28 sur PlayStation 4), Night in the Woods propose de vivre quelques jours dans la peau de Mae, une jeune chatte qui réintègre le foyer familial après l’échec manifeste de ses études. Totalement blasée, un peu cynique, voire un tantinet dépressive, elle joue de la basse. Comme tous les jeunes de sa ville, elle semble sortie d’une version nihiliste du comic Scott Pilgrim.

Night In The Woods Trailer - NEW DATE: FEBRUARY 21st
Durée : 01:24

Ces autres jeunes, ce sont le renard Gregg, le meilleur ami à l’enthousiasme communicatif, et son amoureux, le gros ours (et gros geek) Angus. Il y a aussi Bea, la copine alligator dont l’amitié et la vie familiale s’étiolent. Germ, l’oiseau discret accro aux jeux vidéo, n’est jamais très loin non plus – à l’inverse de l’insaisissable Casey, expédiant scénaristique plus que pote véritable.

Tous ces jeunes gens font durer ce qu’il leur reste d’adolescence à Possum Springs, bled américain tristement banal. L’automne est déjà là, et les feuilles s’envolent au rythme des rêves qui s’évanouissent. De retour après quelques mois d’absence, Mae tente de se persuader que rien n’a changé, mais ce n’est pas tout à fait vrai. Bea, désormais gothique, est devenue une quasi-inconnue. Ces bons vieux Gregg et Angus, pierres angulaires de sa vie amicale, envisagent de déménager. Ses deux matous de parents ont vieilli.

Fille électrique

Les bas-fonds de Possum Spring, sources de rencontres improbables et de bretzels. | Finji

Dans ce contexte, renouer avec le quotidien est une aventure en soi : chaque jour, Mae se lève sans enthousiasme et va errer en ville, à la recherche d’un truc à faire, de vieilles connaissances avec qui discuter.

C’est dans ces phases exploratoires que Night in the Woods fait le plus « jeu ». Chatte mal dans ses baskets mais solide sur ses appuis, Mae est capable de sauter de poubelle en poteau, de jouer les équilibristes sur les câbles électriques, de grimper sur les corniches à la recherche d’une fenêtre ouverte, promesse d’une aventure minuscule ou d’un dialogue rare.

L’essentiel de ses journées, pourtant, c’est de tenter de débaucher ses amis pour partir à l’aventure (prétexte à des mini-jeux rafraîchissants, du cassage de tubes néon au montage de robot), faire une répèt’, ou juste discuter de tout et de rien – ce qui, à cet âge-là, revient souvent au même.

C’est sans doute le propos du jeu, mais multiplier les mêmes allers-retours dans les trois mêmes rues, entre les quatre mêmes commerces, devient rapidement répétitif, voire carrément soporifique. Il n’y a rien à faire de très important, ni de très compliqué. Le jeu et Mae s’en amusent d’ailleurs, comme durant ce moment furtif où le joueur est confronté à une quasi-énigme (aller chercher un trombone pour crocheter une serrure) et que Mae se plaint que c’est « aussi chiant que d’aller au boulot ».

Night in the Woods est pourtant très juste quand il prend un tour plus introspectif, qu’il questionne les rapports familiaux par exemple, ou qu’il décrit la mélancolie d’un début de la vie adulte vécu comme l’automne de la jeunesse. La ville elle-même est ici une chose vieillissante, sur le déclin, clairsemée par l’exode rural, endormie par le chômage.

Dans son dernier quart, Night in the Woods essaye d’ailleurs d’unir les destins de la ville et de ses personnages lors d’un rebondissement scénaristique venu de nulle part, très étonnant contraste avec l’ambiance très triviale installée jusque-là. Assez maladroite, cette ligne droite finale abandonne d’ailleurs toute velléité d’associer à l’histoire un joueur déjà assez peu actif et alors carrément réduit au rang de spectateur. Comme si ce n’était pas vraiment le propos.

La touffe et la soie

Certaines scènes de « Night in the Woods » se déroulent la nuit, dans les bois. | Finji

Tout cela participe d’un parti pris assez étrange : raconter une génération plus que faire vivre une aventure. Étrange mais apparemment réussi : sur les forums consacrés, de nombreux jeunes Américains racontent avoir émotion s’être reconnu dans ses héros, leurs péripéties, leur langage.

Comme le français Life is Strange, Night in the Woods est un jeu générationnel. Il peut toutefois aussi bien s’apprécier une fois passé l’âge canonique de vingt-cinq ans : car ses personnages, aussi cyniques soient-ils, évoluent dans un univers graphique naïf et séduisant.

On savait, pour en avoir suivi le développement depuis bientôt trois ans, que Night in the Woods était un jeu coloré, fourmillant de détails. Les feuilles mortes qui se soulèvent, les couvercles de poubelle qui claquent, les ratons laveurs touffus et les écureuils soyeux qui s’enfuient… tout cela rythmé par les slaps de basse des caténaires.

Mais manette en main, le jeu quitte le domaine du mignon pour devenir véritablement bluffant, entre papier découpé et film d’animation. Du doux cliquetis des boîtes de dialogue jusqu’au tapotis feutré des pas des personnages, Night in the Woods se veut un écrin rassurant et tendre, comme pour rappeler que ce qui est vécu à l’adolescence comme un drame peut parfois rêvetir, avec le temps, une patine nostalgique et presque charmante.

En bref

C’est plutôt pour vous si :

  • Vous avez 20 ans et que vous cherchez des héros de jeux vidéo qui vous ressemblent
  • Vous avez eu 20 ans et vous voulez vous rappeler à quoi ça ressemblait
  • Vous allez avoir 20 ans et vous voulez vous préparer

Ce n’est pas pour vous si :

  • Vous êtes persuadé que 20 ans n’est définitivement pas le plus bel âge
  • Vous ne lisez pas l’anglais

On a aimé :

  • L’univers graphique, magnifique
  • Les mini-jeux, rafraîchissants
  • Le soin apporté aux détails

On n’a pas aimé :

  • Indolent et un peu ennuyeux, comme ses personnages
  • Un final qui tombe un peu comme un cheveu sur l’épaule d’une victime de calvitie précoce

La note de Pixels

20 ans/toute la vie