La cimenterie Lafarge de Jalabiya, dans le nord-est de la Syrie, en décembre 2015. | Document "Le Monde"

Le géant suisse des matériaux de construction LafargeHolcim a admis, jeudi 2 mars, avoir conclu des arrangements « inacceptables » pour assurer la sécurité d’une cimenterie en Syrie, déchirée par la guerre, entre 2012 et 2014.

Le groupe reconnaît que la filiale locale qui appartenait alors au français Lafarge « a remis des fonds à des tierces parties afin de trouver des arrangements avec un certain nombre de ces groupes armés, dont des tiers visés par des sanctions », sans pouvoir établir les destinataires finaux. « Avec du recul, les conditions exigées pour assurer la continuation du fonctionnement de l’usine étaient inacceptables », conclut l’enquête interne.

Selon Le Monde, qui avait révélé l’affaire le 21 juin, ces arrangements ont profité à l’organisation Etat islamique (EI). Inaugurée en 2010, la cimenterie de Jalabiya, dans le nord-est de la Syrie a été achetée en 2007 par le français Lafarge, qui a depuis fusionné avec le Suisse Holcim. Mais en 2011, la guerre civile a éclaté. La direction de l’usine a cherché à la faire fonctionner le plus longtemps possible dans un environnement dangereux et instable.

Négocier des droits de passage

A partir de 2013, la présence de l’EI dans la région a contraint la cimenterie à négocier des droits de passage aux check-points tenus par les djihadistes pour ses camions. Il a aussi fallu se fournir auprès des négociants en pétrole, dont les champs étaient tenus par l’EI. Pendant un peu plus d’un an, Lafarge a ainsi indirectement financé l’organisation djihadiste. Jusqu’à ce que l’EI s’empare du site le 19 septembre 2014 et que Lafarge cesse ses activités.

Un laissez-passer estampillé du tampon de l’EI et visé par le directeur des finances de la wilaya (région) d’Alep de l’EI, daté du 11 septembre 2014, a ainsi attesté d’accords passés pour permettre la libre circulation des matériaux de Lafarge sur les routes contrôlées par l’organisation djihadiste. Contacté par Le Monde, la porte-parole de Lafarge avait alors déclaré : « Il existe un document présenté comme un laissez-passer de l’EI. Nous ne confirmons pas son authenticité. Notre enquête interne déterminera la nature de ce document et comment il a émergé. »

« Des erreurs de jugement »

Alors que la guerre civile prenait de l’ampleur dans le pays, « la détérioration de la situation politique en Syrie a entraîné des défis très difficiles quant à la sécurité, les activités de l’usine et les employés », souligne LafargeHolcim. « Cela incluait des menaces pour la sécurité des collaborateurs, ainsi que des perturbations dans les approvisionnements nécessaires pour faire fonctionner l’usine et distribuer ses produits. »

« Les responsables des opérations en Syrie semblent avoir agi d’une façon dont ils pensaient qu’elle était dans le meilleur intérêt de l’entreprise et de ses employés. Néanmoins, l’enquête révèle des erreurs de jugement significatives en contradiction avec le code de conduite alors en vigueur », ajoute-t-il.

A la suite des révélations du Monde, plusieurs ONG, puis le ministère de l’économie, ont porté plainte contre le cimentier, l’accusant notamment de financement du terrorisme et d’avoir enfreint les sanctions édictées par l’Union européenne contre le régime de Bachar Al-Assad.