L’Egypte a définitivement tourné la page de la révolution du 25 janvier 2011. Le faible espoir porté par les familles des manifestants tués lors des dix-huit jours qui ont conduit à la chute de l’ancien président Hosni Moubarak après trente ans de règne s’est éteint, jeudi 2 mars. La Cour de cassation a acquitté l’ancien raïs de 88 ans de toute implication dans la mort de 239 manifestants au terme d’un procès à rebondissements, qualifié de « procès du siècle ». Placé en résidence surveillée dans un hôpital militaire depuis 2011, Hosni Moubarak pourrait recouvrer sa liberté. Sa condamnation à trois ans de prison, prononcée en janvier 2016 dans une affaire de corruption avec ses deux fils Alaa et Gamal, tenait compte du temps déjà effectué en détention.

Depuis le box des accusés de l’Académie de police du Caire, où il est apparu en fauteuil roulant, Hosni Moubarak a rejeté les accusations portées contre lui. « Cela n’est pas arrivé », a-t-il répété à l’énoncé de l’acte d’accusation. Il lui était reproché, avec son ancien ministre de l’intérieur Habib Adly, d’avoir fourni des véhicules et des armes utilisés contre les manifestants par les forces de police et de n’avoir pas agi pour empêcher des morts. Une centaine des partisans de l’ancien raïs a accueilli le verdict aux cris de « Longue vie à la justice ! ». « Cette décision n’est pas juste et pas équitable. Le système judiciaire est politisé », a répondu Osman Al-Hefnawy, l’un des avocats des familles. La Cour a rejeté leur demande de réouverture des procès civils.

« De l’histoire ancienne »

MM. Moubarak et Adly avaient été condamnés, en juin 2012, à la réclusion criminelle à perpétuité pour « complicité » dans la mort de 239 manifestants et pour avoir semé le chaos et créé un vide sécuritaire. La victoire était en demi-teinte pour les révolutionnaires et les familles des victimes. Seules 239 des 846 personnes tuées lors des manifestations de janvier-février 2011 apparaissaient dans l’acte d’accusation. La Cour avait en outre estimé que M. Moubarak n’avait pas ordonné leur meurtre. En novembre 2014, un tribunal a statué en appel en faveur de l’abandon des accusations, invoquant des failles dans la procédure. Un recours en cassation a été introduit par le parquet. L’ancien ministre Adly a été blanchi en juin 2015.

Partisans de l’ancien président Hosni Moubarak au Caire, le 2 mars 2017. | Mohamed Abd El Ghany/REUTERS

« L’acquittement de Moubarak était attendu, commente Khaled Dawoud, ancien porte-parole d’Al-Dostour, un parti né dans le sillage de la révolution. Ceux qui sont au pouvoir n’ont jamais voulu donner au tribunal les preuves qui auraient permis de le condamner. Le juge qui a rendu le verdict en 2012 avait blâmé le parquet et le ministère de l’intérieur pour n’avoir pas donné les preuves, les enregistrements vidéo, les conversations téléphoniques nécessaires à étayer les accusations. » Le journaliste déplore le mépris exprimé envers les victimes et leurs familles : « Quelqu’un doit être tenu responsable des 850 morts. Moubarak était président : il savait que des gens mourraient dans les manifestations et il n’a rien fait pour l’empêcher. »

Suivi à ses débuts par des millions d’Egyptiens à la télévision, le « procès du siècle » ne suscitait plus aucune attente. « Moubarak, c’est de l’histoire ancienne. Les gens désormais se préoccupent des problèmes économiques, des violations des droits humains et de la situation dans le Sinaï. Et la boucle a été bouclée avec les acquittements des membres du régime Moubarak, qu’on voit réapparaître dans l’appareil sécuritaire, les ministères... », estime Khaled Dawoud. La plupart des responsables de l’ancien régime poursuivis pour leur rôle dans les violences ou pour corruption ont été acquittés par la justice depuis que le chef de l’armée, Abdel Fattah Al-Sissi, a pris le pouvoir en 2013, renversant le président islamiste Mohammed Morsi, élu lors des premières élections libres en 2012.

Le combat n’est pas terminé

Les démêlés judiciaires de M. Moubarak ont été éclipsés par la répression contre les Frères musulmans et les figures de la révolution, tous accusés d’avoir voulu déstabiliser l’Egypte. « C’est assez ironique de voir Moubarak libre alors que des milliers de prisonniers politiques se battent toujours pour obtenir leur liberté après avoir été condamnés pour avoir manifesté contre la loi sur les manifestations du 26 novembre 2013 », déplore Gigi Ibrahim, une militante pour les droits des prisonniers au sein du groupe des Socialistes révolutionnaires.

« Ce verdict n’est que l’une des nombreuses manifestations de la contre-révolution en marche depuis le soulèvement de 2011, poursuit-elle. Depuis le massacre de 2013 [lors de la répression des sit-in des partisans des Frères musulmans, le 14 août 2013] et le coup militaire mené par Al-Sissi, le camp révolutionnaire qui a pris part à la révolution de janvier a fait l’objet d’une répression sans précédent. Elle a touché la liberté d’association, la liberté d’expression et les organisations des droits de l’homme. » Mais, pour cette figure de la révolution du 25 janvier, le combat n’est pas terminé : « Ils ont peut-être remporté ce procès, mais il y a encore beaucoup de batailles à gagner. »