De 1925 à 1961, des centaines de pensionnaires de l’orphelinat de Tuam, enfants pauvres ou nés hors mariage, sont morts à la suite de négligences. | PAUL FAITH / AFP

Il ne manquait plus que les preuves matérielles pour confirmer la tragédie des enfants de l’orphelinat catholique du Bon Secours à Tuam, dans l’ouest de la République d’Irlande. Après des décennies de silence, elles ont été rendues publiques, vendredi 3 mars, lorsque la commission chargée de l’enquête sur « la fosse commune aux 800 bébés » repérée par une historienne amatrice locale a publié un sinistre communiqué.

Des excavations menées depuis novembre 2016 ont repéré une structure souterraine divisée en vingt compartiments contenant « des quantités importantes d’ossements humains ». La ministre de l’enfance irlandaise a qualifié cette annonce de « triste et dérangeante » et a promis que la mémoire des petites victimes de l’orphelinat de Tuam « sera[it] honorée » et qu’une sépulture digne leur serait aménagée.

Une fosse remplie de squelettes

De 1925 à 1961, des centaines de pensionnaires de ce home religieux, enfants pauvres ou nés hors mariage, sont morts des suites de négligences. L’histoire, embarrassante pour l’Eglise catholique, longtemps dominante en Irlande, a été effacée de la mémoire locale.

Mais, en 2014, Catherine Corless, assistante maternelle et femme d’un agriculteur local, hantée par des souvenirs d’enfance concernant des camarades de jeu qui disparaissaient, a établi, archives de l’état civil à l’appui, que 796 enfants étaient morts entre 1925 et la fermeture de l’établissement, en 1961. Parmi eux, 794 n’avaient aucune sépulture connue. Ils auraient été enterrés en secret par les bonnes sœurs du Bon Secours après avoir succombé à la maladie dans des conditions sanitaires déplorables.

En étudiant les plans cadastraux, Mme Corless avait établi le probable lieu d’inhumation : une ancienne fosse septique située dans l’enceinte du couvent. Des gamins l’avaient furtivement découverte en 1975. En ramassant des pommes, ils avaient remarqué une dalle masquant une fosse remplie de squelettes.

Des enfants « âgés de 35 semaines d’âge fœtal à 2 ou 3 ans »

Le rapport de la commission sur les homes pour mères et enfants, rendu public vendredi, corrobore, avec la sécheresse d’un procès-verbal, les déductions de l’historienne amatrice. Si l’ancienne fosse septique, « remplie de gravats et déchets recouverts de terre », ne semble pas contenir de restes humains, une autre structure souterraine voisine, reliée à la première, en est remplie. Sur les 20 compartiments qu’elle comprend, « au moins 17 » en contiennent des « quantités importantes », indique le document.

L’analyse ADN des prélèvements effectués a confirmé qu’il s’agissait bien d’enfants « âgés de 35 semaines d’âge fœtal à 2 ou 3 ans » morts dans les années 1950. La commission d’enquête avait été créée par le gouvernement de Dublin à la suite du scandale provoqué par les découvertes de Mme Corless. La presse évoquait alors un « holocauste irlandais ». Une enquête stratigraphique menée sur place en 2015 avait repéré des anomalies de terrain et conduit, en 2016 et au début de 2017, à des excavations suivies d’analyses.

Venant après le scandale des prêtres pédophiles, celui des « filles perdues » contraintes de travailler dans des blanchisseries pour expier leurs péchés (voir le film The Magdalene Sisters, de Peter Mullan, 2001) ou obligées d’abandonner leur enfant (Philomena, de Stephen Frears, 2013), la tragédie des enfants de Tuam a profondément ébranlé la société irlandaise et contribué à remettre en question la toute-puissance de l’Eglise catholique.

Catherine Corless, elle, est restée fidèle à son obsession : en finir avec un sinistre secret et rendre leur identité aux petites victimes du Bon Secours en militant pour qu’un jour leurs noms et leurs dates de naissance et de mort soient inscrits sur une sépulture.