Destruction à Nimroud, capitale assyrienne, en décembre 2016. | UNESCO/SAMI-AL KHOJA

L’appel à l’aide internationale des responsables irakiens de la culture pour la protection du patrimoine en péril, les 23 et 24 février, à la tribune de l’Unesco, à Paris, a été entendu. Un Joint Steering Committee (JSC), comité de pilotage conjoint Irak-Unesco est créé. Il est chargé de la mise en place d’un plan d’action d’urgence, dont la priorité est de sécuriser les sites archéologiques libérés du joug des djihadistes de l’organisation Etat islamique (EI). Le territoire irakien recouvre l’antique Mésopotamie, berceau de la civilisation où ont été inventées, il y a cinq mille ans, l’écriture, l’agriculture, les premières villes, l’architecture monumentale, etc.

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« Malgré ses efforts, Daesh n’est pas parvenue et ne parviendra jamais à effacer notre culture, notre identité, notre diversité, notre histoire et les piliers de notre civilisation », assure Mohammad Iqbal Omar, ministre irakien de l’éducation. Fryad Rawandouzi, ministre de la culture d’Irak, d’ajouter : « Au moment où nous reprenons notre pays en main, nous avons besoin d’un plan de travail assorti d’un calendrier et d’un soutien technique et financier ».

La réponse ne s’est pas faite attendre. Co-dirigé par la Danoise Louise Haxthausen, pour l’Unesco, et par Qais Rasheed, vice-ministre irakien de la culture pour les antiquités et le tourisme, ce comité siègera à Bagdad. Décision prise après deux journées de débats denses auxquels participaient une trentaine d’experts irakiens et des archéologues, historiens, directeurs de musées et institutions internationales. L’urgence concerne les sites archéologiques, les musées, le patrimoine religieux et les villes historiques d’Irak. Il ne s’agit pas seulement du patrimoine matériel mais aussi de l’immatériel. Il faut reconstruire la coexistence des communautés religieuses, musulmane, chrétienne, yézidi, pour lesquelles la barbarie de l’EI laisse des blessures très profondes. Cent sites religieux, églises, mosquées, temples, ont été détruits par l’EI.

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« Un véritable séisme »

« La situation est alarmante, souligne Qais Rasheed, c’est difficile d’imaginer ce que nous avons découvert. C’est un véritable séisme. 70 % de Ninive et 80 % de Nimroud [les deux grandes capitales assyriennes] sont détruits. Les extrémistes violents ont creusé des galeries dans des sites majeurs, comme Mossoul, pour trouver des antiquités à vendre sur Internet et destinées à alimenter le marché noir ». Des tunnels ont été ouverts dans les décombres du tombeau détruit, en 2014, du prophète Jonas, vénéré par les trois religions du Livre, d’où plus de 700 pièces ont été exhumées pour être vendues. Le père Michael Najeeb, prêtre dominicain, réfugié à Erbil, rappelle que « Mossoul était connue pour sa culture et ses quinze bibliothèques publiques et privées aux milliers de manuscrits, la majeure partie ayant disparu, volée ou vendue à des personnalités arabes pour des sommes pharaoniques. Interpol essaie d’agir », dit-il

La cité antique d'Hatra, en Irak, classée au patrimoine mondial de l'Unesco. | AP/ANTONIO CASTANEDA

La statuaire assyrienne du Musée de Mossoul avait été saccagée en 2014, comme les taureaux androcéphales ailés, gardiens mythiques de l’antique Ninive, attaqués au marteau piqueur. « En mai 2016, c’était la muraille de Ninive, dans les faubourgs de Mossoul, qui était démolie au bulldozer », note Mounir Bouchenaki, directeur du Centre de l’Unesco pour le patrimoine dans la région arabe. Aujourd’hui, l’ancienne capitale assyrienne a été minée et une rue transversale, percée du nord au sud, défigure à jamais ses vestiges millénaires. D’Hatra, plus au sud et non libérée, aucune nouvelle ne parvient.

Dans le nord-ouest de l’Irak, occupé par l’EI, 4 000 sites antiques sont recensés sur les 13 000 dénombrés dans tout le pays. « Nous ne pouvons être partout, s’inquiète Qais Rasheed, il faut aller au secours des sites éventrés, souvent éparpillés, les sécuriser et en interdire l’accès, sinon il y aura des vols et des pillages. C’est très important de ne rien déplacer», pour réaliser des fouilles. Dès la libération d’un site, il faut d’abord envoyer des spécialistes sur place, plaide l’Irakien Hosham Dawod, anthopologue au CNRS « et ne pas restaurer à la hâte, car on risque une deuxième destruction ».

Figure monumentale en grès d’un taureau andropomorphe ailé en morceaux. Génie protecteur, gardien des portes du palais de Nimroud, capitale assyrienne, détruit par l’organisation Etat islamique, en Irak, en décembre 2016. | UNESCO/SAMI AL-KHOJA

Un partage des archives

Le partage des archives est prioritaire, rappelle Stefano de Carro, directeur général du Centre d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels (Iccrom). En citant l’exemple des « dix huit institutions de France, Italie, Espagne et du Maghreb, qui ont signé un accord pour numériser et partager les anciens fonds d’archives, afin de constituer une connaissance des sites la plus complète possible, et avoir une idée solide de ce qu’il faut faire ou ne pas faire ». Yves Ubelman, de la start up Iconem, va plus loin encore, dans la démarche. Il travaille en temps réel pour documenter, avec un drone, l’état des lieux d’un site. Et il met en perspective les données photographiques numérisées et les plans et relevés anciens comme il l’a fait, avec succès, pour Palmyre en Syrie. « Quand on réalise un modèle 3D, c’est très facile d’intégrer les archives et les repositionner dans l’espace », affirme cet architecte qui met son expérience au service du patrimoine en péril.

Pour Mourir Bouchenaki, « le seul facteur d’unité d’un pays, c’est le patrimoine, un référent historique sans coloration politique ». Au Cambodge, « le Comité international de coordination d’Angkor (CIC-Angkor), dit-il, est un instrument remarquable de suivi de ce que nous considérons à l’Unesco comme le plus grand projet de restauration et de réhabilitation dans le monde contemporain après le succès de la Campagne internationale de sauvegarde d’Abou Simbel et Philae en Egypte dans les années 1960-1970 du siècle dernier. » L’archéologue algérien sait de quoi il parle. Dans Patrimoine mutilés, ces trésors de l’humanité défigurés par les hommes (Erick Bonnier, 2016), il multiplie les exemples, de Mostar ou Sarajevo en Bosnie, à Bamiyan en Afghanistan ou Tombouctou au Mali.

Le patrimoine, identité nationale, est devenu la cible privilégiée des groupes terroristes. Un échelon de plus est franchi en Irak avec la dispersion des sites et la diversité des problématiques. Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco, parle d’un processus de réhabilitation de plusieurs dizaines d’années. Louise Haxthausen qui co-dirige avec Qais Rasheed, le Joint Steering Committee (JSC) ou Comité de pilotage conjoint, annonce un plan d’action stratégique clair, en s’appuyant sur les missions internationales qui ont travaillé en Irak, dont la France.