L’usine de transformation de feuilles de thé Makandi, à Thyolo, dans le sud du Malawi en avril 2016. | GIANLUIGI GUERCIA/AFP

Les territoires ruraux sont souvent envisagés, désormais, comme des zones dont l’avenir est de se vider et de se désertifier. Et ce, de manière aussi déplorable qu’inexorable. Le développement, tel qu’il est parfois pensé, considère que l’exode rural et l’urbanisation représentent dans le fond un moindre mal. A terme, il paraît en effet moins coûteux d’apporter des services de base au plus grand nombre dans les villes que dans les campagnes, où l’agriculteur présente par ailleurs l’inconvénient d’endommager son environnement. Or cette vision est doublement erronée. D’abord, parce qu’elle tient pour modèle le parcours de développement des pays de l’OCDE, alors qu’il s’est s’avéré catastrophique pour la planète. Il a en effet conduit au réchauffement climatique et à la dégradation de la biodiversité, avec entre autres une agriculture destructive. Faut-il le rappeler entre chaque nouvelle Conférence des parties (COP) sur le climat ? Ces trajectoires ne sont certainement pas les modèles à suivre en Tunisie, au Mali, au Cambodge ou en Colombie.

Ensuite, penser qu’il faut continuer à aller vers la ville pourrait tout simplement être fatal. En 2017, la moitié des habitants de la planète sont citadins. On en oublierait presque que l’autre moitié de la population est bel et bien rurale, ancrée dans des territoires souvent oubliés par des élites urbaines centrées sur leurs propres problèmes. Or les négliger représente la meilleure recette d’un échec annoncé dans la lutte globale contre les inégalités. Ne pas s’en préoccuper, c’est donner de bonnes raisons aux populations concernées de verser dans les archaïsmes religieux, les rébellions ou, plus banalement, des projets d’émigration.

Notre avenir commun ne se joue donc pas dans un schéma binaire Nord-Sud ou des villes contre les campagnes, mais dans un aménagement du territoire au sens complet du terme, avec des réseaux de villes, de bourgs et de villages articulés entre eux, les uns approvisionnant les autres – les villes apportant notamment des services dans des territoires où il ferait bon vivre. Cette vision n’a rien d’utopique. Elle paraît non seulement possible, mais souhaitable, compte tenu du développement rapide de mégalopoles dont l’empreinte écologique s’accentue, et où l’emploi n’est pas toujours au rendez-vous.

Revoir toute la chaîne production

Plusieurs exemples de projets innovants existent déjà, en République dominicaine et à Madagascar, visant à augmenter la production agricole par des techniques écologiques qui se soucient de protéger l’eau, la forêt ou de lutter contre l’érosion. Cette démarche relève de ce qu’on appelle la « transition écologique de la parcelle au paysage dans une logique de production de biens communs ». L’enjeu consiste à atteindre les 17 Objectifs du développement durable (ODD). Rien de moins. Et à lutter contre les fléaux qu’ils listent en creux – guerre, pauvreté, faim, réchauffement climatique et réduction de la biodiversité.

Pour aller dans ce sens, les projets communs de territoires à structurer, en invitant tout le monde autour de la table, représentent une clé. Penser par filières s’avère non moins nécessaire, sans forcément déclarer la guerre, et pour des raisons seulement écologiques, à des produits tels que l’huile de palme, qui relèvent de la consommation courante en Afrique par exemple. Car il est possible de revoir toute la chaîne de production d’un tel aliment dans le respect de l’environnement, de manière consensuelle.

Un marché de Kano, dans le nord du Nigeria, en janvier 2016. | AFP

D’ores et déjà les agriculteurs, éleveurs, forestiers et commerçants s’activent en allant de la parcelle au paysage, de la ferme à l’usine. De leur côté, les acteurs publics ont pour mission d’équiper et de réguler l’accès aux ressources en terres et en eau. Une approche holistique impliquant chacun peut sembler bien complexe. Il n'en est rien. Dans les régions rurales du Sénégal, du Bénin ou du Laos, cette approche intelligente du développement ne fait peut-être pas couler beaucoup d’encre, mais ne s’en trouve pas moins à l’œuvre, avec des résultats parlants.

Jean-Luc François est directeur de la division Agriculture, développement durable et biodiversité à l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique).