Les dentistes ont manifesté place Vauban, dans le 7e arrondissement de Paris, le 3 mars. | © Charles Platiau / Reuters / REUTERS

Les dentistes ont défilé, vendredi 3 mars, non loin du ministère de la santé, dans le 7e arrondissement de Paris, pour protester contre une réforme de leurs tarifs, un mois après l’échec des négociations entre les syndicats et l’Assurance maladie.

  • Une profession réglementée

Aujourd’hui, 37 000 chirurgiens-dentistes, soit près de 90 % de la profession, exercent en libéral en France, selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES). Les autres sont salariés essentiellement dans des centres de santé. Avec l’élargissement du numerus clausus depuis 2008, leur nombre augmente légèrement chaque année.

La profession rajeunit et se féminise, surtout dans les jeunes générations. La moyenne d’âge atteint 48 ans en 2014. Entre 2007 et 2015, la part des femmes est passée de 36,6 % à plus de 43 %.

Tous les chirurgiens-dentistes exerçant en France doivent être enregistrés auprès du conseil de l’ordre de leur département. Celui-ci vérifie les conditions de diplômes et de nationalité. Le 1er février dernier, le conseil est sorti de sa réserve concernant les négociations en cours, dénonçant l’imposition d’un « arbitrage intempestif ».

  • Pas d’accord pour établir une nouvelle convention

La convention est un texte négocié entre les syndicats représentatifs de la profession et les caisses de remboursements des soins (l’Assurance-maladie et les complémentaires), qui définit, entre autres, les conditions d’exercice de la profession. Introduite en 1975, elle permet aux patients d’être remboursés, en partie, des soins dentaires. L’actuelle convention date de 2006.

Les partenaires ont ouvert des négociations en septembre 2016 sur un nouvel avenant. L’objectif : rééquilibrer l’activité des chirurgiens-dentistes et diminuer le reste à charge des patients, selon une note de synthèse de l’Assurance-maladie.

Le 27 janvier, les trois syndicats représentatifs – la Fédération des syndicats dentaires libéraux (FSDL), arrivée en tête des élections professionnelles de 2015, la Convention nationale des syndicats dentaires (CNSD) et l’Union dentaire – ont refusé de signer.

Or, à défaut de signature au 1er février, la loi prévoit la mise en place d’un dispositif arbitral. Pour les syndicats, ce dispositif voté en octobre 2016 s’apparente à une sorte de 49.3. Les deux parties s’opposant sur l’arbitre à désigner, l’Assurance-maladie doit saisir la présidente du haut conseil pour l’avenir de l’Assurance-maladie pour trancher.

Dans un communiqué appelant à la grève du 3 mars, les trois syndicats représentatifs s’élèvent « contre l’arbitraire » et l’imposition de ce qu’ils « n’ont pas accepté par la négociation ». Leur malaise viendrait aussi d’un manque de reconnaissance. Cet épisode arrive après une série de mesures mal digérées par la profession, comme la loi Le Roux sur la constitution de réseaux de soins par les mutuelles, l’installation de centres « low cost » ayant abouti à un scandale sanitaire, « l’usine à gaz » du tiers payant généralisé obligatoire. Les chirurgiens-dentistes reprochent aussi à leur ministre de tutelle, Marisol Touraine, de ne les avoir jamais rencontrés en cinq ans.

  • Le plafonnement des actes liés aux prothèses

Détartrage, traitement d’une carie, dévitalisation, etc., les soins conservateurs représentent la plus grande part des actes remboursés (41 % en 2014). Ils sont pris en charge à 70 % par l’Assurance-maladie, comme les soins préventifs et les consultations. Les dépassements ne sont pas autorisés.

Selon les syndicats, ces soins de base représentent près des deux tiers des actes, mais 30 % seulement du chiffre d’affaires, malgré des revalorisations en 2013 et 2014 – l’examen de prévention bucco-dentaire des jeunes est passé de 25 euros à 30 euros par exemple, celui de la consultation de 20 euros à 23 euros.

Les prothèses, ainsi que l’orthodontie commencée avant le seizième anniversaire, sont facturées le plus souvent avec dépassements. L’Assurance-maladie prend en charge 70 % du tarif opposable – c’est-à-dire le tarif officiel, fixé dans le cadre de la convention avec l’Assurance-maladie.

Les tensions se cristallisent aujourd’hui autour du plafonnement annoncé des actes liés aux prothèses (couronnes, etc.), plus rémunérateurs. Le taux de dépassements moyen atteint 290 %. Les soins de parodontologie, d’implantologie et ceux d’orthodontie débutés après 16 ans font l’objet d’honoraires totalement libres, non remboursés. Certaines mutuelles, cependant, prennent partiellement en charge, ce type de soins, qui se développe.

Les honoraires des chirurgiens-dentistes ont atteint 9,4 milliards d’euros en 2015, d’après l’Assurance-maladie. Ils ont augmenté de 2,1 % en moyenne par an entre 2005 et 2013. Les patients prennent à leur charge un quart du coût des soins, l’Assurance-maladie 36 % et les complémentaires 39 %.

  • L’accès aux soins et la prévention

Les taux de dépassements sont en hausse et alourdissent le reste à charge des patients, note l’Assurance-maladie. En 2012, une personne sur six déclarait avoir renoncé à des soins dentaires pour cause de prix trop élevés des prothèses. Les négociations visaient à améliorer l’accès aux soins.

Celui-ci se trouve également limité par une répartition inégale des chirurgiens-dentistes sur le territoire, malgré la mise en œuvre d’un dispositif incitatif en 2012. L’Ile-de-France et les régions du Sud comptent 70 chirurgiens-dentistes pour 100 000 habitants, contre moins de 45 en Normandie. Les partenaires ont discuté, entre autres, d’une revalorisation de 25 000 euros à 50 000 euros du contrat d’aide à l’installation dans les régions déficitaires.

La santé bucco-dentaire des adultes figure parmi l’une des moins satisfaisantes d’Europe, d’après l’organisme. Les discussions cherchaient donc aussi à renforcer la prévention, avec notamment le dépistage systématique pour certaines populations à risque, comme les diabétiques.

  • Les syndicats demandent des revalorisations plus fortes

Ce sont les étudiants, inquiets pour leur avenir, qui ont lancé le mouvement de protestation. « Aujourd’hui notre système de santé nous incite à être curatifs alors que la volonté des praticiens est d’être préventifs », explique l’Union nationale des étudiants en chirurgie dentaire (Unecd) dans un communiqué. Les soins remboursés « n’ont pas ou peu été réévalués depuis trente ans, contraignant un praticien d’en réaliser à perte s’il souhaite les réaliser avec un plateau technique de pointe », dénonce le syndicat.

L’Assurance-maladie propose de revaloriser les soins opposables en contrepartie d’un plafonnement des prothèses. Mais la revalorisation proposée est « trop maigre », d’après l’Unecd, et la prise en charge des soins « inadéquate ».

L’Assurance-maladie évalue à 806 millions d’euros le coût de ses propositions sur quatre ans, dont 567 millions à sa charge. Ainsi, le gain moyen annuel par dentiste s’élèverait à 8 892 euros. Plus des trois quarts des professionnels seraient gagnants grâce au nouvel avenant conventionnel. Mais, outre les 30 % de perdants, l’effort est jugé insuffisant par les professionnels. Au regard des plafonnements proposés pour les prothèses, le gain net s’élèverait à 341 millions d’euros seulement.