Manifestation à Skopje, le 28 février, contre un accord de coalition passé entre l’opposition social-démocrate et les partis albanais pour faire de l’albanais la seconde langue officielle du pays. | ROBERT ATANASOVSKI / AFP

Pourtant habituée à gérer des crises politiques à répétition, la Macédoine n’en finit pas de s’enfoncer dans un psychodrame dévastateur. D’un côté, l’opposition crie au « coup d’Etat constitutionnel », de l’autre, le pouvoir envoie ses partisans dans la rue et évoque une attaque contre la « souveraineté » du pays.

La crise remonte aux élections législatives anticipées du 11 décembre 2016. Organisé sous la pression de Bruxelles et de Washington, le scrutin devait permettre d’en finir avec les tensions provoquées par les scandales de corruption à répétition et les accusations de fraudes électorales visant l’homme fort du pays, l’ex-premier ministre Nikola Gruevski. En dix ans de règne, son parti nationaliste, le VMRO-DPMNE, a mis ce petit Etat enclavé des Balkans en coupe réglée, prenant le contrôle de toutes les institutions de l’Etat.

Seulement, les élections de décembre 2016 n’ont pas consacré de vainqueur clair. Avec seulement 51 sièges de députés sur 120, le VMRO-DPMNE s’est montré incapable de former une coalition de gouvernement.

Minoritaires avec 49 députés, les sociaux-démocrates du SDSM, de l’opposant historique Zoran Zaev, ont, quant à eux, réussi à rallier 18 députés issus des partis de la minorité albanaise (25 % de la population). Lundi 27 janvier, après que M. Zaev eut présenté au président Gjorge Ivanov la liste de ses soutiens, sa désignation pour constituer un gouvernement devait être une formalité.

« Coup d’Etat constitutionnel »

Deux jours plus tard, M. Ivanov a rendu son verdict : « La Constitution et ma conscience m’interdisent de confier la charge de former un gouvernement à une personne ou à un parti dont le programme prône l’atteinte à la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance de la Macédoine. »

Derrière ce refus, une question sensible : l’accord de coalition passé entre Zoran Zaev et les partis albanais prévoit de faire de l’albanais la deuxième langue officielle du pays, une concession délicate dans un pays encore marqué par les affrontements interethniques de 2001. Depuis les accords de paix signés à Ohrid, cette même année 2001, la langue albanaise bénéficie du statut de langue officielle seulement dans les localités où la minorité albanaise représente plus de 20 % de la population.

Pour les sociaux-démocrates, cette décision s’apparente donc à un « coup d’Etat constitutionnel », et le président chercherait surtout à protéger son mentor, Nikola Gruevski. En avril 2016, Gjorge Ivanov s’était déjà illustré en tentant de faire passer une amnistie préventive pour les responsables politiques menacés de poursuites judiciaires, soit en grande majorité des responsables du VMRO-DPMNE.

« Menace séparatiste »

La crispation des amis de M. Gruevski à l’idée de lâcher le pouvoir se fait de plus en plus sentir. Depuis le début de la semaine, des manifestations de partisans du VMRO-DPMNE se déroulent dans un climat tendu, contre la « menace séparatiste » que représenteraient les Albanais. Mardi 28 février, deux journalistes de la télévision albanaise ont été agressés à Skopje.

Autre signe de crispation, les fortes pressions émises par les chancelleries occidentales – la Macédoine est candidate à l’Union européenne – n’ont pour l’heure apporté aucun résultat, le pouvoir orchestrant, avec l’appui de Moscou, une campagne dure contre les « ingérences » extérieures. Jeudi 2 mars, une visite à Skopje de la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, n’a guère plus fait bouger les lignes.

Tombée depuis longtemps dans un trou noir démocratique, la Macédoine prend désormais le risque d’une confrontation entre deux camps de plus en plus irréconciliables.