Dans la région de Ras lanouf, le Croissant pétrolier Lybien, le 23 janvier 2016. | STRINGER / AFP

L’épisode va compliquer les efforts régionaux de règlement de la crise libyenne. Vendredi 3 mars, les forces du maréchal Khalifa Haftar, chef en titre de l’armée nationale libyenne (ANL) et homme fort de la Cyrénaïque (Est), ont essuyé un revers dans une partie du Croissant pétrolier, le poumon économique de la Libye qu’elles contrôlaient depuis septembre 2016. Un groupe armé, baptisé Brigade de défense de Benghazi, a lancé une attaque surprise contre cet arc de terminaux pétroliers en bordure du Golfe de Syrte et est parvenu à enlever le port de Ras Lanouf. Le porte-parole de l’ANL, le colonel Ahmed Mesmari, a confirmé cette perte de Ras Lanouf mais a démenti celle du port voisin de Sidra que rapportaient des sources locales.

La percée de la Brigade de défense de Benghazi, une force « révolutionnaire » d’obédience islamiste à laquelle se sont agrégés des noyaux djihadistes, risque fort de relancer les affrontements dans cette région du Croissant pétrolier où transite plus de la moitié du brut libyen exporté. Depuis sa conquête il y a six mois par l’ANL du maréchal Haftar, les exportations avaient repris de manière spectaculaire, permettant à la Libye de doubler (par rapport à l’an dernier) sa production pétrolière à 700 000 barils par jour. Les jours prochains devraient être marqués par une contre-offensive des forces du maréchal Haftar qui disposent sur les assaillants d’un avantage aérien. Mais le coût humain, économique et diplomatique de la flambée de combats qui s’annonce risque d’être élevé. Ce nouvel épisode militaire va hypothéquer l’offensive diplomatique récemment menée par les pays voisins de la Libye – Algérie, Tunisie et Egypte – dans le but d’amener les différents protagonistes du conflit libyen autour de la table des négociations.

Conséquence indirecte de la bataille de Benghazi

La Brigade de défense de Benghazi (BDB), un groupe issu du Conseil de la choura révolutionnaire de Benghazi qui a été défait par les forces du maréchal Haftar, avait établi sa base dans le district de Jufra, situé à 250 km au sud-ouest du Croissant pétrolier. De là, elle avait tenté divers raids, à chaque fois contrés par l’aviation de Haftar. La BDB est notamment liée aux milices les plus radicales de Misrata, la grande métropole portuaire de la Tripolitaine. La reprise des affrontements dans le Croissant pétrolier augure-t-elle d’un télescopage frontal entre les forces de Misrtata et celles de Haftar ? La condamnation de l’attaque de vendredi par le gouvernement d’« union nationale » de Faïez Sarraj – activement soutenu par les Européens et les Nations unies – pourrait permettre d’en prévenir le risque. M. Sarraj dispose de relais modérés à Misrata. Mais le schisme s’approfondit entre M. Sarraj, qui multiplie les appels au calme, et les forces les plus hostiles aux visées du maréchal Haftar, dénoncé par ses adversaires comme un « putschiste » instrumentalisant le combat « antiterroriste » pour imposer en Libye un régime militaire à rebours des idéaux de la révolution anti-Kadhafi de 2011.

La fragilisation de la situation sécuritaire dans le Croissant pétrolier est une conséquence indirecte de la bataille de Benghazi que le maréchal Haftar a gagnée pour l’essentiel, même s’il demeure des poches rebelles à son autorité. Dans cette bataille, le maréchal avait bénéficié de soutiens tactiques d’Occidentaux, au nom de la lutte anti-Etat islamique, notamment d’unités spéciales françaises. Le 17 juillet 2016, trois sous-officiers du service action de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) avaient été tués lorsque leur hélicoptère avait été pris pour cible par les forces de la BDB à proximité de Benghazi.