Angela Merkel, la chancelière allemande, avec Youssef Chahed, le premier ministre tunisien, le 3 mars, à Tunis. | FETHI BELAID / AFP

Sous l’immense lustre rivé au plafond en coupole de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) de Tunis, Angela Merkel s’est dit vendredi 3 mars « impressionnée » par la transition démocratique de la Tunisie. Au-delà de l’aménité de circonstance, il y avait un incontestable accent de sincérité chez la chancelière allemande qui, évoquant son parcours, a « vu ce que la puissance de la liberté peut changer ». A l’occasion de sa visite d’une journée à Tunis – la première d’un chancelier allemand en Tunisie – Mme Merkel a tenu à flatter les Tunisiens, leur révolution de 2011, leur modèle unique qui scintille comme « un phare de l’espoir ». Elle a aussi mis la main à la poche, annonçant pour 250 millions d’euros supplémentaires de projets de développement.

Angela Merkel s’est dite « impressionnée » par la transition démocratique de la Tunisie

Mais la vraie nouveauté de cette offensive diplomatique de Berlin à Tunis est ailleurs. Elle réside dans la question migratoire, devenue brûlante en Allemagne à quelques mois des élections fédérales de l’automne. L’attaque au « camion bélier » du 19 décembre 2016 contre le marché de Noël de Berlin (12 morts) a brutalement mélangé aux yeux d’une partie de l’opinion le dossier des demandeurs d’asile ayant afflué massivement en Allemagne et le péril terroriste. Anis Amri, le Tunisien auteur de l’attentat de Berlin, avait été débouté du droit d’asile mais son expulsion n’avait pu être obtenue à temps, les autorités consulaires tunisiennes ayant tardé à l’identifier comme ressortissant tunisien.

Mme Merkel était venue à Tunis avec la ferme intention d’arracher à ses hôtes un accord rendant plus facile et rapide ce type d’expulsion. Environ 1 500 Tunisiens sont considérés en situation irrégulière en Allemagne. Cet accord, la chancelière l’a obtenu. La Tunisie s’engagera désormais à identifier dans « les trente jours » ses ressortissants en situation irrégulière et à leur délivrer en une semaine les documents de voyage nécessaires à leur rapatriement. « Ceux qui ne sont pas habilités à bénéficier de la protection de l’Allemagne devront quitter le pays, si possible pacifiquement et au besoin par la force », a-t-elle déclaré devant le Parlement tunisien.

Activisme diplomatique

L’affaire dépasse la Tunisie. L’enjeu migratoire est en train de redéfinir l’approche allemande de l’Afrique. L’intérêt de Berlin pour le continent s’était réveillé au seuil des années 2010 mais il était alors porté par d’autres ambitions. Le tournant s’était opéré sous le deuxième gouvernement de Mme Merkel (2009-2013), à l’époque où son ministre des affaires étrangères était le libéral démocrate Guido Westerwelle. L’Afrique devenait une priorité économique pour l’Allemagne. S’y est ajoutée très vite une autre dimension au lendemain de la vague des printemps arabes de 2011 alors que « les pays du Maghreb étaient jusque-là négligés dans l’agenda politique de Berlin », relève Isabel Shäfer, chercheuse associée à l’université Humboldt de Berlin. En Tunisie, Berlin a ainsi fait preuve d’un activisme diplomatique remarqué – notamment pour désamorcer en 2013 la crise entre islamistes et anti-islamistes – au point de susciter un agacement jaloux à Paris, condamné à la discrétion après ses compromissions passées avec l’ex-dictature de Ben Ali.

Avec le Maroc, la coopération est aussi dynamique. Rabat est le deuxième récipiendaire en termes d’aide au développement (après l’Egypte) dans la région. Plus modestes, les échanges avec l’Algérie sont en augmentation depuis 2011. Mais la crise des réfugiés de 2015, ponctuée par les événements de la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne, a changé la donne. L’enjeu migratoire s’impose désormais comme une question de politique interne pour Mme Merkel. Alors que des ressortissants maghrébins ont été montrés du doigt dans les agressions sexuelles de Cologne, Berlin s’attache à obtenir l’expulsion de ceux en situation irrégulière. Un projet de loi a été présenté pour obtenir que le Maroc, l’Algérie et la Tunisie soient inscrits sur la liste des « pays sûrs », une qualification qui rend plus compliqué l’octroi de l’asile à ceux qui le requièrent. Adopté par le Bundestag en mai 2016, le texte est bloqué depuis.

C’est dans ce contexte que les visites allemandes se multiplient sur le continent africain. Avant Tunis, Angela Merkel était jeudi en Egypte. Le 20 février, elle aurait dû être à Alger, voyage annulé en raison de l’état de santé du président Bouteflika. A l’automne, elle s’était déplacée au Niger, au Tchad et en Ethiopie. La philosophie est la même : aider à la stabilisation régionale – notamment en Libye – pour lutter contre le terrorisme et endiguer les flux de migrants. Mais ce tropisme l’expose à d’autres critiques, notamment celle de sacrifier les droits de l’homme sur l’autel de sa politique migratoire en pactisant avec des régimes autoritaires. Au Caire, elle a tenté d’y répondre en rappelant son « attachement à une société civile pluraliste ». En Tunisie, ce seul rescapé des printemps arabe qui l’« impressionne », l’exercice était plus aisé.