"La maladie d'Alzheimer est un vrai problème de santé publique"
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Joël Ankri est directeur de l’unité de recherche Vieillissement et maladies chroniques (Inserm-université Versailles-Saint-Quentin), chef de service du centre de géronto­logie de l’hôpital Sainte-Périne, à ­Paris, et vice-président en charge du suivi du nouveau plan Maladies neurodégénératives 2014-2019. Pour  Le Monde, il fait le point sur la prise en charge de la maladie en France.

Face au défi de la maladie d’Alzheimer, comment ­la société peut-elle réagir ?

On oublie souvent que les personnes qui vieillissent, c’est nous ! Il y a deux façons de voir les choses. On peut considérer « les vieux » comme des personnes à part, de plus en plus nombreuses, qui coûtent de plus en plus cher… A l’opposé, on peut faire en sorte que la société nous aide à bien vieillir. Notre système de santé reste très centré sur l’hôpital : cette réponse n’est ni suffisante ni adaptée à la prise en charge de la maladie d’Alzheimer. Il faut réorganiser les soins hors de l’hôpital, au do­micile des patients ou dans des structures plus légères. Un tournant a eu lieu en 2007 : la maladie d’Alzheimer a été reconnue « grande cause nationale ». En 2008, un troisième plan Alzheimer a été lancé par Nicolas Sarkozy. Ambitieux, il a été financé à hauteur de 1,6 milliard d’euros.

Vous avez évalué ce troisième plan Alzheimer. Qu’a-t-il apporté ?

Ce plan a intégré le soin, la solidarité et la recherche. Il a eu un net impact sur l’organisation de la prise en charge. Il a maillé le territoire de lieux de diagnostic : les consultations mémoire. Il a structuré la prise en charge médico-sociale. Par exemple, ce plan a créé des équipes spécialisées Alzheimer (ESA), qui organisent une offre de soins à domicile. Surtout, il a instauré des MAIA, des méthodes d’action pour intégrer les services d’aide et de soin chez les sujets en perte d’autonomie. Ces MAIA mobilisent de nouveaux professionnels qui gèrent les situations complexes. Au sein des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ce plan a créé des structures adaptées aux troubles du comportement. Enfin, il a développé des aides aux aidants, comme les plates-formes d’accompagnement et de répit.

En l’absence de traitement ­curatif, quel est l’apport ­des prises en charge non médicamenteuses ?

Leur action reste difficile à évaluer. Il existe une multitude ­d’interventions : activités sociales, thérapies cognitivo-comportementales, prises en charge par différents professionnels (psychomotriciens, ergothérapeutes…). Les retours des proches et des professionnels vont dans le bon sens. A partir du moment où l’on s’occupe de ces personnes, au lieu de les laisser passives dans une chambre, ces interventions apparaissent comme favorables.

Un grand problème, à mesure que la maladie progresse, tient à l’apparition et à l’aggravation des troubles du comportement. Très souvent, ils sont liés à des problèmes relationnels. La réponse ne passe pas par des médicaments de type psychotropes, mais par la compréhension de l’origine du trouble. Celui-ci provient-il d’une restriction de mouvement, d’un problème relationnel, d’une douleur ? Même si les patients ont perdu le langage, la communication n’est pas obligatoirement rompue. A travers la relation humaine, on peut calmer bien des situations.

Comment les familles ­concernées peuvent-elles s’orienter ?

Face à une maladie d’Alzheimer débutante, elles se tourneront en priorité vers leur médecin traitant. Elles peuvent aussi s’orienter vers les centres locaux d’information et de coordination, le centre communal d’action sociale de leur mairie ou l’association France Alzheimer. Nous disposons en France d’un arsenal de prises en charge qui n’est pas mauvais. Le problème tient plutôt à leur connaissance, leur utilisation et leur adaptation à l’échelon local. Après le cancer, la maladie d’Alzheimer est la maladie la plus redoutée des Français. Pour autant, ils restent souvent mal informés. L’offre d’aide et de soins est fragmentée et parfois illisible.

Qu’apporte le plan Maladies neurodégénératives 2014-2019 ?

Son premier enjeu est de favoriser un diagnostic de qualité, d’éviter les situations d’errance. Comment ? En sensibilisant les médecins généralistes à l’importance d’un repérage précoce. Il permettra aux proches de prévoir une ­organisation adaptée.

Ce plan a été élargi à d’autres maladies neurodégénératives, com­me Parkinson et la sclérose en plaques. Il existe des problématiques communes en matière d’organisation du diagnostic, de la prise en charge ou de la recherche. Sept centres d’excellence français pour la recherche sur ces maladies ont été identifiés : ils ont rejoint un ­réseau européen et canadien. En regroupant les forces, on espère dégager de nouvelles pistes de ­recherche et de traitement.

Ce plan entend aussi favoriser une meilleure intégration des ­patients et de leur entourage dans la prise en charge, et des patients dans la société. Il accorde une place accrue aux actions de terrain, aux initiatives régionales. Quel que soit le lieu, les familles doivent trouver une réponse adaptée.

Propos recueillis par Florence Rosier