Cérémonie de remise du doctorat à l’Université de la Sorbonne, en mars 2010. AFP PHOTO / BERTRAND GUAY | BERTRAND GUAY / AFP

Al’occasion de leur premier colloque à l’étranger, les thésards français sont souvent étonnés. Là-bas, leur « PhD », l’appellation anglo-saxonne du doctorat, est un signe d’excellence, y compris sur le marché du travail. Ici, leur « doctorat » peine à rivaliser avec les bac + 5. Malgré trois ans d’études supplémentaires minimums, le taux de chômage des docteurs est bien plus élevé en France que celui des ingénieurs.

Voilà peut-être une des raisons du manque d’engouement des étudiants pour la thèse française : entre les années universitaires 2008-2009 et 2014-2015, le taux de poursuite en thèse après un master 2 est même tombé de 7 % à 4 %, selon le dernier rapport sur l’état de l’emploi scientifique en France. En sciences, filière dans laquelle 79 % des doctorants bénéficient toutefois d’un financement ­dédié, il a baissé de deux points entre ­2012-2013 et 2014-2015.

Pourtant, « aujourd’hui la différence entre les grosses entreprises se fait par l’innovation », explique Romain Doutre du cabinet de ­recrutement Robert Walters, qui certifie : « Dans l’industrie, il y a un très fort appel d’air sur des profils très techniques. » Le phénomène remonterait à quelques années. « Après avoir délocalisé leurs activités de recherche et développement, certaines entreprises ont finalement réalisé que faire de l’innovation à distance, ce n’était pas possible. » Pour ce responsable d’équipe chargé du recrutement des ingénieurs, les écoles qui forment ces derniers « sont devenues de plus en plus généralistes. On forme les étudiants à être des manageurs, pas forcément des experts ».

Dans ce contexte, les ingénieurs diplômés sont de plus en plus nombreux à poursuivre en doctorat, d’après Vincent ­Mignotte, ­directeur de l’Association Bernard Gregory (ABG), qui œuvre pour l’insertion des docteurs en entreprise. A Polytechnique, ils représentent 28 % de chaque promotion, ce qui en fait le deuxième ­débouché à la sortie du bac + 5. En 2016, l’école a même lancé un « PhD Track » en cinq ans, sur le modèle anglo-saxon, qui trace dès l’entrée en master un chemin vers le doctorat.

PhD à l’américaine

Ce modèle, répandu hors de nos frontières, se révèle plus ­attractif pour les étudiants mais aussi pour recruter des professeurs ­renommés. HEC, l’ESCP Europe, l’EM Lyon ou l’ESC Rennes ont ainsi mis en place des PhD à l’américaine. Le doctorat reste cependant le seul diplôme ­reconnu en France. Ces écoles, dont les frais de scolarité sont bien plus élevés que ceux de l’université, n’ont pas toutes ­obtenu du ministère de l’enseignement et de la recherche la possibilité de délivrer l’équivalence entre le PhD à l’américaine et le doctorat à la française.

A l’Essec, ce programme, créé en 2006, n’attirait au départ qu’une dizaine d’étudiants. Deux ans plus tard, il obtient l’accréditation à délivrer le diplôme de doctorat national. Aujourd’hui, ils sont 73 inscrits. « Ce programme est essentiel pour la visibilité et le rayonnement internationaux de l’école », assure sa ­directrice, Anca Metiu.

Quelles que soient leurs différences, doctorat et PhD restent en effet des valeurs sûres à l’international. Un bac + 8 ouvre parfois plus facilement les portes d’une carrière dans un grand groupe.

Chez Ayming, société de conseil qui emploie 900 personnes en France, près d’un collaborateur sur neuf est docteur. « Sur certains postes comme dans la recherche de financements européens, on va ­favoriser ceux qui ont fait des échanges. Avoir fait une partie de son doctorat ou un “postdoc” à l’étranger est une vraie valeur ajoutée », cite en exemple Benoît ­Février, responsable des ressources humaines, lui-même titulaire d’une thèse en biologie.

Plate-forme DocPro

« Nos plus gros clients sont dans le secteur du numérique, de la gestion de données [big data], de la biotechnologie et le secteur pharmaceutique », précise Amandine Bugnicourt, cofondatrice du cabinet Adoc Talent Management, spécialisé dans le recrutement de docteurs. « Les PME n’ont pas forcément la culture du docteur » mais, « pour réussir, de plus en plus font face à de gros enjeux de mondialisation, d’innovation ».

De ce point de vue, un ancien thésard, qui a appris à travailler dans l’inconnu, peut apporter des solutions. Encore faut-il connaître son potentiel. C’est l’objectif de la plate-forme DocPro, lancée en 2015 par l’association ABG, la Conférence des présidents d’université et le Medef. Elle permet à près de 3 000 docteurs de mettre en valeur leurs compétences en les rendant intelligibles pour les acteurs du monde économique.

Autre signe d’évolution, le nombre de conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre), qui associent doctorant, laboratoire et entreprise, est passé de 800 en 2000 à près de 1 400 en 2015. Si les diplômes d’écoles d’ingénieurs et les masters 2 professionnels restent aujourd’hui prisés par les recruteurs, la thèse et ses trois ans de recherche, de mieux en mieux connue par les entreprises, pourrait donc devenir un atout dans les prochaines années.