La Cour de justice de Luxembourg, en 2014. | JOHN THYS / AFP

Les Etats membres de l’Union européenne (UE) respirent : la Cour de justice de Luxembourg a estimé, mardi 7 mars, qu’ils n’étaient pas tenus d’accorder un visa humanitaire à des personnes qui souhaitent se rendre sur leur territoire pour demander l’asile.

La Belgique, directement concernée par le litige soumis en urgence aux juges, avait refusé, en 2016, la demande d’une famille syrienne et, comme d’autres pays membres, craignait un jugement qui l’aurait obligée à accepter des requêtes introduites auprès de postes diplomatiques. Avec, à la clé, l’ouverture d’une nouvelle brèche et une remise en question de la déjà très complexe politique d’asile de l’UE.

En octobre 2016, une famille d’Alep, de confession orthodoxe, avait introduit des demandes de visas humanitaires auprès de l’ambassade de Belgique au Liban. Redoutant d’être victime d’une persécution religieuse, elle espérait quitter la Syrie et introduire une demande d’asile à Bruxelles. Un membre de la famille, qui compte deux jeunes enfants, affirmait notamment avoir été enlevé, battu et libéré contre une rançon.

Le 18 octobre 2016, l’Office belge des étrangers rejetait la demande, estimant que la famille voulait en fait séjourner plus de 90 jours, durée prévue par le code des visas de l’Union. L’administration belge soulignait aussi qu’autoriser la délivrance d’un tel visa d’entrée reviendrait à permettre à tous les demandeurs d’introduire une demande d’asile auprès de tous les postes diplomatiques. D’où l’inquiétude d’autres gouvernements, redoutant un précédent.

La famille syrienne a, via son avocat, contesté cette décision de refus devant une Chambre belge de recours. Ils soutiennent que la Charte des droits fondamentaux et la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) obligent les Etats à garantir le droit à l’asile, par l’octroi d’une protection internationale.

Brèche

Le secrétaire d’Etat belge à l’asile et aux migrations, Theo Francken, refusait, expliquait-il, d’ouvrir une brèche dans laquelle pourraient s’engouffrer de nombreux autres migrants. Et il insistait sur la nécessaire marge d’appréciation des Etats. Le gouvernement du libéral Charles Michel s’en est trouvé profondément divisé, certains partis appelant au respect de la loi, tandis que l’Alliance néoflamande (N-VA, nationaliste flamand), à laquelle appartient M. Francken, s’en prenait à des juges « coupés des réalités ». En bout de ligne, la Belgique proposait aux requérants des visas humanitaires pour… le Liban.

Début février, l’avocat général de la Cour de Luxembourg avait rendu l’espoir à la famille en considérant que les Etats membres devaient délivrer un visa humanitaire lorsqu’il existe des motifs « sérieux et avérés » de croire qu’un refus exposera les demandeurs à de mauvais traitements. Il interprétait le code des visas en soulignant que les Etats membres étaient tenus de respecter les droits garantis par la Charte des droits fondamentaux.

Leur marge d’appréciation, soulignait le magistrat, est limitée par le droit de l’Union et, dans le cas examiné, les requérants étaient exposés en Syrie, à tout le moins, à des risques réels de traitements inhumains. La Belgique ne pouvait dès lors refuser un visa humanitaire et priver les demandeurs du droit de solliciter une protection internationale à Bruxelles.

Le tribunal n’a pas suivi cet avis. Il a estimé que les Syriens voulaient en fait obtenir un permis de séjour de plus de 90 jours, afin d’introduire leur demande d’asile. Leur requête sortait du cadre du code des visas de courte durée. Elle relevait donc du seul droit national belge. Selon les juges européens, on ne peut permettre à des personnes de choisir elles-mêmes l’Etat auquel elles réclament une protection internationale.