Le 6 mars, croquis de la comparution du policier Damien Saboundjian (à droite) devant la cour d’assises de Paris. | BENOIT PEYRUCQ / AFP

« Un tir de légitime défense avec un orifice d’entrée dans le dos, effectivement, ça pose un problème que tout le monde peut comprendre. » En une phrase, le président de la cour d’assises de Paris vient de résumer le procès en appel qui s’est ouvert lundi 6 mars et durera toute la semaine. Face à lui, l’accusé essuie régulièrement ses larmes. A 37 ans, Damien Saboundjian est toujours policier, mais ne peut plus exercer sur la voie publique, ni porter une arme. Opérateur radio, il répond désormais aux appels de police secours.

Le gardien de la paix écoute, tête basse, l’exposé des faits pour lesquels il a été acquitté en première instance, il y a un peu plus d’un an. Et pour lesquels il risque toujours 20 ans de réclusion criminelle, en appel, pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ».

La voix parfois fluette malgré une carrure imposante, Damien Saboundjian explique à la barre que pas un jour ne passe sans qu’il ne repense à ce 21 avril 2012 où « il s’est passé ce qu’il s’est passé. » Lui affirme s’être défendu, ce soir-là, face à un homme armé. « Depuis, j’ai un mort sur la conscience. » Du nom d’Amine Bentounsi, qu’il a abattu dans les rues de Noisy-le-Sec, en Seine-Saint-Denis.

« L’impunité » policière

Ce fameux soir de 2012, à 20 h 30, un appel anonyme signale au 17 « un individu en fuite, connu pour des vols à main armée et se prénommant Amine », non loin d’un bar de Noisy-le-Sec. Un appel est lancé à toutes les patrouilles. Damien Saboundjian s’y rend avec son équipe. A leur arrivée, le suspect s’enfuit, lançant une fausse grenade qui ralentit ses trois collègues dans leur poursuite à pieds. Toujours au volant, Damien Saboundjian prend le fuyard à revers, sort du véhicule et tire à quatre reprises. Amine Bentounsi s’effondre sur le sol et meurt des suites d’une hémorragie interne à 5 h 10.

Le policier est catégorique : Amine Bentounsi l’a « pointé », il a dû riposter. Une arme a d’ailleurs été retrouvée aux côtés de la victime. L’impact dans le dos ? Peut-être s’est-il retourné avant que la balle ne l’atteigne. Les yeux noirs de la partie civile ne le quittent pas. Elle prend des notes. Ne flanche que quelques secondes lorsque le président évoque l’acquittement du policier par la cour d’assises de Seine-Saint-Denis qui avait reconnu la légitime défense, en janvier 2016.

Elle était évidemment déjà là. Elle, c’est Amal Bentounsi, la sœur de la victime. Depuis la mort de son cadet, âgé de 28 ans, elle est devenue une figure presque incontournable de la lutte contre les violences policières ; fondatrice d’un collectif dont on peut lire le nom en lettres rouges sur un t-shirt, au milieu du public : « Urgence notre police assassine. »

Le jour de la course-poursuite, son frère était recherché. Après une permission, il n’avait pas réintégré le centre de détention de Châteaudun où il purgeait une peine pour vol à main armé. L’une de ses onze condamnations. Elle n’en fait pas un ange, de son frère délinquant multirécidiviste, mais ne peut s’empêcher de s’emporter contre les titres de presse le surnommant « le braqueur ». « C’est dégueulasse et malhonnête » de criminaliser la victime, glisse-t-elle en répétant ce qui, pour elle, est une preuve irréfutable : cette balle dans le dos. Amal Bentounsi se dresse contre « l’impunité » policière dont « Amine n’est pas la seule victime, » lance-t-elle en déclinant d’autres prénoms. Adama. Théo. « C’est un procès emblématique. Pour les victimes, les familles des victimes et les victimes à venir. »

« Refaire le match après coup »

Déjà au moment des faits, l’affaire était entrée en collusion avec l’actualité. Pile entre les deux tours de la présidentielle de 2012, elle avait été instrumentalisée par les candidats – Nicolas Sarkozy en tête – et déclenché une polémique sur la sécurité. Cette fois, le procès en appel s’ouvre quelques semaines après les tensions provoquées par les violences et le viol présumés de Théo L., à Aulnay-sous-Bois, par des policiers.

Il y a quelques jours à peine est également entrée en vigueur la nouvelle loi de sécurité publique, assouplissant les règles de légitime défense pour les policiers. L’avocat de Damien Saboundjian, Me Merchat, a d’ailleurs tenu à la verser au débat à l’ouverture de l’audience. Peu importe, pour son confrère de la partie civile, puisque ici, selon lui, il ne s’agit justement pas de légitime défense.

Cette balle dans le dos n’est pas le seul élément auquel la défense va devoir faire face au cours de cette semaine de procès en appel. La panique du policier, retrouvé recroquevillé et en pleurs après avoir tiré ; la scène de crime « modifiée » où les douilles auraient été bougées ; des témoins affirmant qu’Amine Bentounsi s’enfuyait sans se retourner… L’enquête a instillé quelques doutes sur la version de l’accusé. Assez pour que le parquet général fasse appel de l’acquittement, quelques jours après le verdict en première instance.

Dès mardi, l’un des coéquipiers de M. Saboundjian devra quant à lui répondre du « mensonge dans lequel il s’est empêtré », soulignait un enquêteur de l’Inspection générale des services (désormais Inspection générale de la police nationale) à l’audience de lundi. Le policier avait en effet affirmé avoir vu la victime pointer son arme vers son collègue, lequel avait alors ouvert le feu. Confronté aux dépositions des témoins et à la reconstitution des faits, il avait fini par avouer n’avoir rien vu. Ni dans un sens, ni dans l’autre.

Rien de plus compliqué que de « refaire le match après coup », a de son côté prévenu le commissaire divisionnaire Ilic, premier sur les lieux en 2012 et premier témoin à la barre, lundi. « Pensez-vous que la population attende cela de la police, qu’elle ne lâche pas un individu armé dans les rues ? », lui demande l’avocat de la défense après trois heures d’audition. Le commissaire soupire. « Oh, vous savez, la population peut parfois être bien contradictoire. »