On aurait tort de se rassurer à la lecture du dernier baromètre sur l’image du Front national (FN). Cette enquête, effectuée pour Franceinfo et Le Monde par Kantar Sofres-OnePoint, auprès d’un échantillon national représentatif de 1 006 personnes, interrogées en face à face du 23 au 27 février, est l’édition annuelle de ce baromètre réalisé depuis 1984.

Certes, en dépit des intentions de vote flatteuses dont bénéficie actuellement Marine Le Pen en vue de la présidentielle, l’étude ne témoigne pas d’une amélioration significative de l’image du FN dans l’opinion des Français ; elle dévoile même, sur certains points, une légère dégradation. Mais elle démontre, dans le même temps, une indéniable consolidation de ses idées dans son électorat et une capacité certaine à le mobiliser.

La perception du FN reste largement négative

Durant les années 1980 et jusqu’en 2002, de l’ordre de 70 % en moyenne des Français considéraient que le FN représentait un danger pour la démocratie. Ce jugement très négatif a fortement reflué pendant la décennie suivante : en 2012, après l’accession de Mme Le Pen à sa présidence, 47 % des Français voyaient dans le parti d’extrême droite un danger pour la démocratie, contre un pourcentage équivalent (47 %) qui était d’avis contraire.

Or, en dépit des efforts entrepris depuis cinq ans pour le normaliser et le « dédiaboliser », le nombre de ceux qui le jugent dangereux pour la démocratie n’a cessé de progresser durant ce laps de temps : ils sont aujourd’hui 58 %, soit 11 points de plus qu’en 2012 et 2 points de plus qu’en 2016. Cette inquiétude est plus marquée chez les femmes (62 %), chez les personnes âgées de plus de 65 ans (63 %), chez les cadres (69 %) et professions intermédiaires (63 %) et chez les diplômés de l’université (68 %).

Un autre chiffre démontre que le vote en faveur de la formation d’extrême droite est loin de s’être banalisé. Près de deux Français sur trois (64 %, en hausse de 2 points par rapport à 2016) assurent n’avoir jamais voté pour le FN. A l’inverse, 17 % ont déjà voté pour lui et entendent récidiver ; 12 % (+ 3) n’ont jamais voté pour lui mais envisagent de le faire cette année ; enfin 3 % (– 3) ont déjà voté pour lui mais pensent ne pas recommencer.

La priorité nationale en matière d’emploi très largement rejetée

Au total, ce sont donc 32 % des Français, en baisse de 2 points depuis un an, qui ont déjà voté pour lui ou envisagent de le faire. La perspective, que le parti aimerait accréditer, d’une vague puissante en sa faveur est donc loin de correspondre à l’état de l’opinion.

En outre, Mme Le Pen apparaît à une majorité relative de Français comme la représentante d’une « extrême droite nationaliste et xénophobe » : 49 % des personnes interrogées partagent cette appréciation (en hausse de 2 points en un an et de 6 points depuis 2013-2014), contre 46 % qui jugent qu’elle représente « une droite patriote attachée aux valeurs traditionnelles ». L’étendard de la « France apaisée » que brandit depuis des mois la dirigeante frontiste n’en a donc pas modifié l’image.

Il est enfin notable que l’une des mesures emblématiques du programme de la candidate à l’Elysée – la priorité nationale en matière d’emploi – reste très largement rejetée par les Français. Les trois quarts d’entre eux (76 %, en hausse de 4 points en un an) jugent qu’il n’y a pas de raison de faire une différence entre un Français et un étranger en situation régulière.

Une adhésion qui se consolide chez ses partisans

Si l’image d’ensemble du Front national ne s’améliore pas, l’adhésion aux idées qu’il défend s’enracine, en particulier chez ses sympathisants, de plus en plus en dissidence par rapport au reste de la population française. Sur ce terrain, l’action de Mme Le Pen a indéniablement porté ses fruits.

Quand son père présidait le parti, de l’ordre de 75 % des Français se déclaraient en désaccord avec ses idées. Depuis qu’elle lui a succédé, ils sont moins des deux tiers (62 %). A l’inverse, ils sont 33 % (en hausse de 2 points en un an) à se dire tout à fait ou assez d’accord avec ses idées. Cette adhésion est nettement plus marquée dans les catégories populaires, employés (38 %) et ouvriers (48 %). On peut également souligner qu’un sympathisant des Républicains sur trois (32 %) se dit assez d’accord avec les idées du FN.

Ainsi, bon nombre des idées défendues par le FN restent largement partagées, très au-delà des rangs frontistes : 72 % des Français jugent que les djihadistes français binationaux devraient être déchus de leur nationalité française ; 70 % se disent favorables au rétablissement du service militaire ; 67 % estiment que la justice n’est pas assez sévère avec les petits délinquants ; 66 % jugent qu’on ne défend pas assez les valeurs traditionnelles en France ; 59 % souhaitent que l’on donne beaucoup plus de pouvoir à la police et 51 % estiment qu’il y a trop d’immigrés en France.

Réelle marge de progression pour Marine Le Pen

Mais la distorsion est très perceptible, sur la plupart de ces propositions, entre l’attitude des sympathisants du FN qui les plébiscitent, et celle des autres courants de l’opinion dont l’adhésion à ces idées régresse le plus souvent depuis un an.

L’exemple le plus significatif est celui de la sortie de l’euro et du retour au franc qui est l’une des orientations phare du programme de Mme Le Pen : 64 % des sympathisants frontistes (en hausse de 11 points en un an) y sont désormais favorables, alors que dans le même temps l’on ne compte plus que 11 % (– 2 points en un an) des sympathisants des Républicains et 14 % (– 8 points en un an) des sympathisants de gauche pour soutenir une telle mesure.

Il reste que, au-delà des évolutions depuis un an des différents traits d’image du FN, un constat d’ensemble s’impose : de l’ordre d’un tiers des Français sont d’accord avec les idées du parti d’extrême droite, ne les estiment pas dangereuses et sont prêts à voter pour ses représentants. Autrement dit, même si Mme Le Pen n’a pas réussi jusqu’à présent à apparaître comme la candidate attrape-tout qu’elle voudrait être, elle bénéficie d’un socle et d’un potentiel électoraux sensiblement supérieurs aux intentions de vote, inférieures à 30 %, dont elle bénéficie aujourd’hui. Sa marge de progression d’ici au 23 avril est donc réelle.