Manifestation pour le droit à l’avortement à Varsovie, le 3 octobre 2016. | JANEK SKARZYNSKI / AFP

Que se passerait-il si les femmes cessaient au même moment toute activité, au travail et à la maison ? C’est le pari de la Grève internationale des femmes, prévue dans une cinquantaine de pays mercredi 8 mars, en réponse à la violence « sociale, légale, politique, psychologique et verbale que les femmes subissent sous différentes latitudes ». « Si nos vies ne valent rien, produisez donc sans nous ! », proclame le site qui recense les diverses mobilisations.

Et c’est une première. Jamais les actions organisées à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes ne l’avaient été de manière coordonnée sur les cinq continents, avec le même slogan (« la solidarité est notre arme ») et sous les mêmes bannières.

Une mobilisation planétaire

Des organisations de plus de cinquante pays ont adhéré à l’initiative de la Grève internationale des femmes, dont la France, les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, l’Ukraine, la Russie, la Turquie, Israël, le Pakistan, le Tchad, le Sénégal ou encore le Brésil, le Pérou, le Mexique, la Corée du Sud, la Thaïlande ou le Cambodge.

Aux Etats-Unis, les organisatrices de la Women’s March, la manifestation monstre du 21 janvier contre Donald Trump, se sont elles aussi ralliées au mouvement. « Il est temps de repolitiser la journée des femmes, proclament-elles dans une tribune publiée dans le Guardian. Elle a longtemps été célébrée avec des brunchs, des fleurs et des cartes de vœux. Mais à l’ère de Trump, il nous faut un féminisme d’action fédérateur. »

Bannière de la Grève internationale des femmes pour le 8 mars 2017. | Capture d'écran IWS

En France, les femmes sont invitées à cesser de travailler à 15 h 40 : leur salaire étant en moyenne 26 % moins élevé que celui des hommes, « c’est comme si elles arrêtaient tous les jours d’être payées à 15 h 40 », explique le site du collectif de 35 associations féministes, syndicats (CGT, FSU, Solidaires), ONG et organisations de jeunesse qui a rejoint le mouvement international. Des actions sont prévues dans une quarantaine de villes.

Une initiative partie de Pologne

L’idée d’organiser les manifestations du 8 mars de manière coordonnée est née en Pologne, après la manifestation du 3 octobre 2016 pour le droit à l’avortement. Ce jour-là, des milliers de femmes vêtues de noir avaient décidé de faire grève – s’inspirant de la grève des femmes en 1975 en Islande – et avaient défilé à Varsovie pour protester contre un projet de loi visant à interdire totalement l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

« Partout, ce sont les mêmes modes d’action, mais aussi les mêmes mots utilisés contre les féministes, comme “féminazi” »

Quelques jours plus tard, c’est au tour des Sud-Coréennes de descendre dans la rue pour défendre l’IVG. Puis, le 19 octobre, des centaines de milliers de femmes de presque toute l’Amérique latine quittent leur travail pendant une heure pour défiler, également vêtues de noir, à l’appel du collectif argentin Ni Una Menos (« pas une femme de moins »), contre les violences machistes. 

La militante polonaise et écrivaine Klementyna Suchanow s’émeut alors de la similitude des mobilisations et des problématiques concernant les femmes. « Partout, ce sont les mêmes modes d’action, constate-t-elle, mais aussi les mêmes mots utilisés contre les féministes, comme “féminazi”, déjà courant aux Etats-Unis ou en Amérique latine, mais que l’on ne connaissait pas jusque-là en Pologne. Dès lors, je me suis demandé : pourquoi ne pas coordonner les mouvements de protestation ? »

Après un échange avec une militante féministe argentine, un groupe Facebook est créé, bientôt rejoint par des femmes d’Irlande, d’Israël et d’Italie. L’idée d’un « jour sans femmes » le 8 mars 2017 naît de ces conversations. Très vite, les Argentines du collectif Ni Una Menos, particulièrement actives sur les réseaux sociaux et sur le terrain, sont invitées à se joindre à la mobilisation.

La Women’s March aux Etats-Unis et dans de nombreux pays, trois mois plus tard, démontre qu’il est possible que les femmes manifestent le même jour, au même moment, sur différents points du globe, pour défendre leurs droits.

Liberté d’action

Face à la diversité des situations dans diverses parties du monde, les initiatrices de la grève ont décidé de laisser à chaque organisation la liberté de choisir sa stratégie, ses modalités d’action et ses revendications. Arrêt des activités professionnelles pendant toute la journée ou pendant quelques heures, port de vêtements noirs, rouges ou mauves (la couleur du féminisme), boycottage des entreprises aux publicités sexistes, grève du sexe, des tâches ménagères, coupures de routes, manifestations… toutes les actions sont possibles.

« Aux Etats-Unis, les organisatrices de la Women’s March n’ont pas voulu se limiter aux discriminations contre les femmes, note Klementyna Suchanow. Elles appellent à manifester aussi contre le néolibéralisme, les guerres néocoloniales, le racisme… En Pologne, nous pensons que personne d’autre que nous ne va s’occuper spécifiquement du sort des femmes et qu’il ne faut donc pas diluer leurs problèmes spécifiques dans une lutte plus globale. »

En France, le principal axe de revendication est l’égalité des salaires. L’Amérique latine insiste sur les « féminicides » ou le droit à l’avortement. En Russie, qui vient de dépénaliser les violences domestiques, et où les manifestations risquent d’être interdites, la grève sera « sexuelle et reproductive », explique le site international.

Un « jour sans femmes » : l’exemple islandais

La première grève massive des femmes connue a eu lieu en Islande, le 24 octobre 1975. Ce jour-là, entre 90 % et 95 % des femmes se sont mises en grève pour rejoindre le centre de Reykjavik et manifester contre la double journée de travail (professionnel et domestique), paralysant littéralement le pays. A l’occasion de ce « jour sans femmes », quelque 30 000 femmes défilèrent dans les rues de la capitale (alors que l’Islande comptait alors 220 000 habitants).

« Cette journée a fait prendre conscience aux femmes que, groupées, elles sont très puissantes », souligne Gudrun Jonsdottir, une féministe islandaise qui avait 21 ans à l’époque. Cinq ans plus tard, Vigdis Finnbogadottir devenait la première femme au monde à être élue présidente au suffrage universel direct. Aujourd’hui, même si des inégalités persistent, l’Islande est en tête des classements mondiaux en termes de parité femmes-hommes.