Capture d’écran issue de la vidéo de la campagne « No More Clichés ».

Une femme, jambes écartées, en talons et collants résille. Une autre, très amaigrie, penchée sur un tabouret dans une position explicite. Ces deux visuels de la marque de luxe Saint Laurent (YSL) ont été épinglés, lundi 6 mars, par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP).

Pour Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et auteure, en 2008, d’un rapport sur l’image des femmes dans les médias, la publicité de Saint Laurent renoue, non seulement, avec la mode du porno chic en vogue au début des années 2000 mais rompt avec toutes les avancées concernant le sexisme dans la publicité.

Comment l’image des femmes dans la publicité a-t-elle évolué depuis les années 1960 ?

Globalement depuis les années 1960, on est passé d’une publicité qui met en avant la femme ménagère – « Moulinex libère la femme » – à une femme manageure de sa vie qui concilie enfants, vie privée et vie professionnelle. Dans les années 1990, il y a aussi eu l’image de la femme « wonder woman », celle qui fait tout par magie. La représentation des femmes dans la publicité a intégré, pour partie, le fait que les femmes ont une double vie, privée et professionnelle.

Pour autant, on a vu dans les années 2000 toute une série de dérapages et une utilisation des femmes encore traditionnelle et archaïque. Des publicités utilisent d’ailleurs toujours le corps de la femme pour vendre des produits qui n’ont rien à voir, c’est le cas par exemple des voitures. En 2002-2003, il y a eu la mode du porno chic qui revient en force avec cette publicité de la marque Saint Laurent (YSL). La femme y est sexualisée, soumise et ridiculisée. C’est une négation de toutes les avancées. Mais dans l’ensemble, les femmes sont moins godiches qu’avant dans les publicités.

La dimension sexiste des publicités fait-elle l’objet d’un contrôle ?

Pour la publicité télévisuelle, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) doit obligatoirement émettre un avis avant la diffusion et veiller à l’image et au respect de la personne. Mais ce n’est pas le cas pour les supports écrits, c’est-à-dire les publicités dans la presse et les affichages dans l’espace public. Elle peut cependant s’auto-saisir, c’est d’ailleurs le cas pour la pub de Saint Laurent [dont la réponse est attendue vendredi].

La question du sexisme intéresse-t-elle les professionnels du secteur ?

On ne peut pas dire que ce soit leur tasse de thé. Ils veulent avant tout vendre un produit et aller jusqu’au bout de leur volonté de création. Avec une question : comment je fais pour capter et séduire le consommateur ? En même temps, ils savent qu’ils doivent heurter le public sans le frapper. S’ils vont trop loin, ils peuvent parvenir à l’effet inverse et dégoûter le public. Ils doivent donc trouver un équilibre. Encore une fois, YSL est une telle grande marque que cela va salir son image. Au contraire, de petites marques pas très connues créent parfois le buzz et se font connaître avec des publicités sexistes.

Quelles conséquences les publicités sexistes ont-elles sur les mentalités, selon vous ?

Une grande conséquence car la publicité, comme l’école et les autres médias, participe à la socialisation de l’individu. Tout le monde a besoin de modèle. Avec la publicité, l’être humain se transforme en consommateur captif. Quand il passe dans la rue, il est obligé de la voir, il ne peut l’éviter. Et les effets sont graves car cela crée des modèles, des habitudes de comportement. Tout ce qui renvoie à une image de soumission, à un mauvais traitement participe à l’inégalité et à la violence.

En France, les pouvoirs publics sont-ils sensibles à cette question ?

On n’est finalement pas mauvais sur ce plan. Car en plus de l’ARPP, depuis 2017, dans le cadre de la loi relative à l’égalité et la citoyenneté, le Conseil supérieur de l’audiovisuel doit examiner l’image des femmes dans la publicité. En même temps, c’est un critère difficile à contrôler car il faut trouver un équilibre entre la dignité de la personne humaine et la liberté de création, ce qui exclut d’ailleurs la politique des quotas.

Ce qu’il manque vraiment, ce sont des campagnes de sensibilisation fortes contre le sexisme, notamment en direction des professionnels de la publicité. Face aux critiques, la plupart disent : « Oh ça va, c’est rigolo », « Elles sont belles, il faut le montrer. » Ces professionnels ne sont pas formés à ce qu’est le sexisme.

« No More Clichés », une vidéo contre les clichés sexistes

Pour tourner en dérision les clichés sexistes véhiculés par la publicité et les communicants, les membres du réseau « Toutes femmes, toutes communicantes » ont lancé, en 2016, une campagne de sensibilisation à travers une vidéo intitulée « No More Clichés ».