Film sur Arte à 22 h 30

Isabelle Huppert et Louis Garrel | © Jess Hoffman

Difficile de ne pas penser à Luc Bondy en voyant Les Fausses Confidences : ce film est l’œuvre ultime du metteur en scène. Il l’a tourné au printemps 2015, dans le Théâtre de l’Odéon qu’il dirigeait, puis il en a fait un premier montage, avant de partir se reposer en Suisse, où il est mort le 28 novembre, à 67 ans. Nous l’avions vu en mai. Il était épuisé, au point de tomber à terre d’un coup, mais l’instant d’après, il se relevait, et on le retrouvait magnifiquement présent, vif, drôle : Luc Bondy, c’était avant tout un sentiment de la vie, et ce sentiment ­irradie Les Fausses Confidences, qui revisite la pièce de Marivaux d’une manière personnelle.

Cette pièce, Luc Bondy l’a créée à L’Odéon-Théâtre de l’Europe en janvier 2014, avec Isabelle Huppert et Louis Garrel dans les rôles principaux : elle, Araminte, est une riche veuve encore jeune que sa mère voudrait voir épouser un comte, ce qui lui permettrait de se hisser dans la société, et de régler par la même occasion une épineuse question d’argent – cet argent dont Marivaux montre comme nul autre les liaisons cruelles et dangereuses avec l’amour. Araminte n’est pas décidée à cette union, quand se présente chez elle un homme jeune, beau et un peu mystérieux : Dorante. Il postule au rôle d’intendant, tout en cachant ses origines – c’est un fils de bonne famille ruiné – et la véritable raison de sa venue – il est épris d’Araminte.

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Sur le plateau de l’Odéon, le texte de Marivaux était respecté. Dans le film, il est réinterprété. Luc Bondy a tourné en gardant les mêmes acteurs qui, le soir, jouaient la pièce, et, dans la journée, le scénario inspiré de la pièce. Il n’a pas été compliqué de transformer l’Odéon en hôtel particulier : les lieux s’y prêtent. Luc Bondy a su filmer le théâtre, qu’il aimait d’amour, comme un personnage à part entière. Cet aspect compte dans le plaisir que l’on prend à regarder Les Fausses Confidences : on y voit ce que peut inspirer l’âme d’un lieu à un metteur en scène.

Prenons la première entrevue entre Araminte et Dorante. La dame est sur la terrasse, où elle vient de suivre un cours de « chi », le souffle, avec son professeur. Vêtue de satin blanc, fine et raffinée. Son regard croise celui du jeune homme brun en manteau sombre, et une ombre fugace passe sur le visage d’Isabelle Huppert : Dorante la trouble, plus qu’elle ne veut le laisser paraître. « Vous avez 30 ans ? », lui demande-t-elle. « Pas tout à faitencore », répond-il. « Ah, vous avez le temps de devenir heureux, alors », lâche Araminte. Tout Luc Bondy est dans cet échange, et dans ce « devenir » qui en dit long : la vie comme apprentissage, l’instant comme jouissance.

L’amour des acteurs

L’action du film se passe aujourd’hui, et non dans le XVIIIe siècle de Marivaux, dont Luc Bondy et son coscénariste Geoffrey Layton conservent cependant souvent le langage. Le décalage qui en découle pourrait paraître affecté. Il n’en est rien : il aiguise l’oreille, comme les lumières d’extérieur presque brûlées, parfois, attirent l’œil. Marie-Louise Bischofberger, l’épouse de Luc Bondy, les a conservées dans la version définitive de ces Fausses Confidences qu’elle cosigne et qui témoignent d’un autre amour, inaltérable celui-ci, de Luc Bondy : l’amour des acteurs.

Les Fausses Confidences, d’après Marivaux, de Luc Bondy (Fr., 2015, 85 min). Avec Isabelle Huppert, Louis Garrel, Bulle Ogier.