On n’avait jamais vu ça de mémoire de marin. Armel Le Cléach a bouclé, le 19 janvier, le tour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance, en 74 jours 3 heures et 35 minutes, un record qui améliore la performance de François Gabart (2013) de près de quatre jours.

Le skippeur de Banque populaire devient également le premier à finir trois « Vendée » de suite sur le podium. Quelques semaines après sa victoire, et alors que le dernier concurrent doit arriver en fin de journée, il revient pour Le Monde sur la course, son retour sur terre et ses futurs projets.

A l’arrivée, vous déclariez : « Je ne réalise pas encore vraiment ce que j’ai accompli. Il va me falloir du temps pour atterrir. » Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?

Je commence un peu à atterrir, même si je suis encore très fatigué. Mais oui, je commence à réaliser ma victoire et son ampleur auprès du public. Depuis l’arrivée aux Sables-d’Olonne, entre les rendez-vous à Paris et chez moi en Bretagne, je m’aperçois qu’énormément de gens ont suivi et me félicitent. Je reçois beaucoup de sollicitations, de courriers. C’est super sympa ! En revoyant les images de l’arrivée, en lisant la presse, je me rends compte de ce qui s’est passé.

Vendée Globe : l’arrivée triomphale de Le Cléac’h
Durée : 00:59

Après soixante-quatorze jours en mer, comment retrouve-t-on un rythme de terrien ?

Cela prend du temps car je n’ai pas encore retrouvé une vie normale. Le premier week-end aux Sables-d’Olonne j’étais très sollicité. Puis il a fallu monter à Paris. Finalement, j’ai retrouvé un rythme plus calme en rentrant chez moi le week-end suivant. J’ai commencé à retrouver mes repères, une vie un peu plus normale : se lever le matin, emmener mes enfants à l’école, faire les devoirs… Ça aide. Et puis il y a la fatigue. J’ai des coups de barre en journée. Je n’ai pas l’énergie qu’il faut pour repartir demain en mer. Il faut du temps pour récupérer d’un Vendée Globe. Pour moi, c’est important de trouver un équilibre entre les deux. Ce n’est pas toujours simple. Les vacances arrivent, on va se retrouver tous les quatre en famille, et faire un vrai break. Plus de téléphone, d’interviews pendant quinze jours ; j’en ai besoin et eux aussi !

« Une des premières choses que j’ai apprise en mer est l’élection de Donald Trump. C’était contraire aux sondages. J’ai mis un peu de temps à y croire, ce n’était pas forcément le scénario qui m’emballait le plus. »

Comment gérez-vous la pression médiatique après votre victoire ?

C’est un peu de la folie ! Peut-être parce qu’on est encore un peu tout seul en mer et d’un coup, on prend tout cela en pleine figure. Tout le monde veut son interview. Heureusement, c’est assez cadré avec le ponton, la conférence de presse. Je n’aurai pas eu l’énergie de répondre à chacun. Puis cela s’est enchaîné très, très vite. Je ne suis pas accueilli comme une star mais presque. On ne réalise pas tout ça en mer. Je me rends compte que le Vendée Globe passionne vraiment les gens car c’est une course difficile, quelque chose d’unique.

Pendant le Vendée Globe, avez-vous suivi l’actualité ?

Un petit peu, oui. J’avais demandé à recevoir des petits résumés une fois par semaine. Une des premières choses que j’ai apprise en mer est l’élection de Donald Trump. C’était contraire aux sondages. J’ai mis un peu de temps à y croire, ce n’était pas forcément le scénario qui m’emballait le plus. En mer, on se dit qu’on est un peu privilégié car nous ne subissons pas l’effet de « boule de neige ». Je ne reçois les informations qu’au compte-gouttes, et je ne suis pas obligé de les demander. Cependant, il faut rester connecté à ce qu’il se passe, surtout s’il se produit des choses graves. On est souvent sollicité et si on n’est pas au courant, on peut avoir des réactions inappropriées et donc mal perçues. C’est une question de respect.

Les questions liées à l’environnement sont-elles importantes pour vous ?

Oui, je suis sensible à l’environnement. Sur les bateaux, on essaye de travailler sur les matériaux et de réduire notre consommation d’énergie fossile. Pour ce tour du monde, j’ai dû consommer un peu moins de 150 litres de gasoil pour recharger mes batteries. L’idée est que dans quatre ou huit ans, les bateaux terminent le tour du monde sans utiliser d’énergie fossile. Il y a une vraie sensibilisation à faire, même si je pense que cela rentre dans les habitudes, surtout pour la nouvelle génération. Par exemple, on ne jette plus rien en mer. Il y a encore trente ans, ce n’était pas le cas.

Vous devenez le premier marin à terminer la course trois fois d’affilé, avec trois podiums. Que cela vous inspire-t-il ?

Cela rajoute à la manière dont j’ai gagné cette course. C’est une fierté supplémentaire. Cela montre un parcours, une détermination. Je suis très content des trois podiums, même si chaque Vendée Globe a été très différent. Il y aurait eu trois places de deuxième, cela n’aurait pas été la même chose. Je sais que c’est une chance de finir à trois reprises, car tous ne le finissent pas. Cela représente énormément de travail, un peu de talent peut-être.

Et le record ?

Le record ajoute à la performance. J’aurai pu finir en 85 jours, l’important était de gagner. Aujourd’hui, on parle souvent de record. Il faut aller plus vite, plus haut, plus loin. Le Vendée reste une course où on doit d’abord finir devant les autres. Pour moi, le record n’était pas l’objectif. A l’arrivée, j’avais même zappé le nombre de jours. Je n’en faisais pas une fixation. Il fallait juste être le premier à revenir. Je savais que cette année j’avais beaucoup de paramètres qui me permettraient de pouvoir gagner. J’avais un bateau très bien préparé, une super équipe, l’expérience d’un autre Vendée Globe où ce n’est pas passé loin et une grosse motivation. Il y avait tout ce qu’il fallait pour aller chercher la victoire.

Avant le départ, vous aviez affiché vos ambitions de victoire. N’était-ce pas une pression supplémentaire ?

Non, je ne crois pas. C’est peut-être facile à dire après, mais je ne pouvais pas dire autre chose. De toute façon, en ayant fait deuxième avec trois heures d’écart (lors de l’édition 2012-2013), faire mieux sans gagner, sachant mon état d’esprit, c’était compliqué. Je suis un sportif, un compétiteur. C’est sûr que cela pouvait paraître un peu prétentieux mais dans la logique du dernier Vendée Globe, c’était le discours à tenir. En tout cas, c’était mon leitmotiv. Peut-être que dans le passé, j’étais favori mais je n’osais pas trop afficher mes ambitions, par superstition ou par humilité. Peut-être que maintenant je vais changer de discours.

« Celui qui est éliminé en huitièmes de finales à Roland-Garros gagne près de 170 000 euros. Ce n’est pas avec cela qu’on va gagner notre vie. »

Après dix années consacrées au Vendée Globe, que pensez-vous de son évolution ?

Le Vendée reste une superbe course avec des semaines magnifiques avant le départ. Mais l’organisateur doit se professionnaliser, et être plus à l’écoute des skippeurs en amont. Cette édition a été compliquée, avec des changements au niveau de la direction quelques mois avant le départ, ce qui a perturbé la préparation de tout le monde. Le problème est que la course a lieu tous les quatre ans, mais les projets commencent bien en amont. Il faut que les interlocuteurs et le discours ne changent pas en cours de route, pour que nos sponsors, qui ont besoin de visibilité, s’y retrouvent aussi. Aujourd’hui cela marche, mais on pourrait encore faire mieux par rapport à un événement qui prend de l’ampleur.

Côté sportif, il y a plusieurs niveaux de course avec des projets qui viennent pour l’aventure et d’autres pour la gagne. Et c’est très bien, c’est ce qui fait vivre le Vendée Globe. Mais, aujourd’hui, il faut que le côté sportif reste la priorité. Jean Le Cam disait à son arrivée (il a terminé sixième de cette édition) qu’il restait encore le septième et qu’après, la course était finie. C’est peut-être un peu dur mais il n’a pas tort. Il faut trouver un équilibre entre les deux.
Ce qui passionne les gens, c’est aussi la course, mon duel avec Alex Thomson par exemple. En France et en Europe, nous avons des marins qui peuvent écrire des belles pages du Vendée mais qui n’arrivent pas à monter des projets. Si on arrivait à les faire venir, ce serait bien pour le combat sur l’eau. Le Vendée fait rêver beaucoup de gens mais maintenant il faut qu’il évolue et passe à une « version 2.0 ».

Et à propos de la prime de 160 000 euros au vainqueur ?

La prime n’a pas évolué depuis quatre ans et très peu depuis plusieurs années. Si on la compare à d’autres sports, c’est peu, surtout au vu des risques et de l’engagement. Celui qui est éliminé en huitièmes de finales à Roland-Garros gagne près de 170 000 euros. Ce n’est pas avec cela qu’on va gagner notre vie. Aujourd’hui, il nous faut des sponsors mais ce sont des contrats sur deux ou trois ans. Ce n’est pas toujours simple. On ne veut pas gagner des milliards mais que la prime soit à la hauteur de l’événement. Même si c’est déjà une belle somme.

Quels sont vos futurs projets ?

Nous construisons un trimaran ultime, le Maxi Banque populaire IX, qui sera mis à l’eau cet été. L’objectif, cette année, est la Transat Jacques-Vabre. Ensuite la Route du rhum en 2018. Ce sera mon plus gros défi, avec une revanche à prendre sur le sort après mon forfait il y a deux ans. La Route du rhum est mythique, la deuxième course la plus connue en France. Une belle ligne à écrire sur son palmarès. Je vais retrouver François Gabart, Thomas Coville. Il y aura une belle concurrence, de magnifiques bateaux. Et puis, il y aura peut-être un tour du monde en 2019 mais c’est encore en cours d’organisation. Mais là, pour moi, c’est encore un peu loin, je vais déjà digérer celui-ci.

"Angle parfait", bluff et déjeuners à minuit : le Vendée Globe raconté par Armel Le Cléac'h
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