Au Mali, l’impossible paix ?
Au Mali, l’impossible paix ?
Par Christophe Châtelot
Signé en 2015, l’accord d’Alger est mis en péril par un pouvoir central passif, une rébellion fragmentée et un djihadisme en constante recomposition.
Les hésitations, reports et autres bégaiements déplorés lors de la signature en 2015 de « l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali », conclu à Alger par les autorités maliennes et les groupes armés rebelles, laissaient entrevoir des difficultés à venir. Quelque deux années plus tard, quatre depuis le déclenchement de l’opération militaire française « Serval », le processus de paix, à force de lenteur, est en train de perdre la course de vitesse engagée contre les groupes armés.
Ainsi l’illustrent les difficultés rencontrées ces dernières semaines pour installer des autorités intérimaires dans les chefs-lieux des cinq régions ex-rebelles du nord et du centre du Mali – Gao, Kidal, Menaka, Taoudenni et Tombouctou. Il s’agit là, pourtant, du premier maillon de la chaîne forgée par l’accord d’Alger qui, outre l’arrêt des hostilités, redessine le cadre institutionnel malien au profit d’une plus grande décentralisation et dresse une longue liste de projets de développement économique, social et culturel pour sortir le nord du Mali de la misère.
Ces autorités intérimaires, « chargées de l’administration des communes, cercles et régions du Nord », auraient dû être mises en place dans les trois mois suivant la signature de l’accord. Au regard de quoi elles viennent tout juste d’être installées, dans la douleur et les combats, à Kidal, Menaka et Gao. A Tombouctou et Taoudenni, on devra encore attendre. Une source au sein de la mission civilo-militaire des Nations unies au Mali (Minusma) nous assurait, mercredi 8 mars, que cela interviendra « dans les prochains jours ». Mais, preuve de la sensibilité du sujet, « la date ne [peut] être annoncée sous peine de compromettre cette opération ».
Blocage
Ce fut en effet le cas le 6 mars, date initialement prévue pour leur installation. Des éléments armés ont attaqué deux points de contrôle occupés par l’armée malienne. L’événement a donc été reporté à des jours meilleurs.
Pourquoi ce blocage, alors que les signataires de l’accord d’Alger – la République malienne et la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA, une coalition de groupes armés arabes et touaregs) – s’étaient entendus sur le nom des ex-rebelles appelés à troquer leur kalachnikov contre un costume de président de conseil régional ?
Prenons Tombouctou. Les auteurs du coup de force sont membres du CJA, le Congrès pour la justice dans l’Azawad, du nom donné par les indépendantistes touaregs à la partie septentrionale du Mali. Cette milice dirigée par la tribu Kel Ansar a débarqué sur la scène en octobre 2016. Non sans ironie, le CJA justifie sa création pour « garantir la viabilité de l’accord dans les régions de Tombouctou et de Taoudenni ». « En réalité, décrypte Aurélien Tobie, chercheur au Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), les Kel Ansar essaient de prendre le train en marche. » Pour des raisons internes, en l’occurrence une vacance à la tête de leur chefferie traditionnelle, ils n’avaient pu participer aux négociations d’Alger. Ils ont ainsi été exclus de la distribution des postes. « Or, au Mali, notamment, l’identité communautaire est synonyme de pouvoir et donc de l’accès aux ressources », explique Aurélien Tobie. En clair, les Kel Ansar veulent eux aussi leur part du gâteau.
Autres lieux, autres acteurs mais même logique à Gao, Menaka et Kidal. Là, le rapport de forces avait changé avec la montée en puissance de la Plateforme, une coalition de groupes initialement pro-gouvernementaux composée notamment du Gatia (Groupe d’autodéfense des Touareg Imghad et alliés), associé au CM-FPR (Coordination des mouvements et Front patriotique de résistance). Groupement auquel se sont joints des groupes arabes dissidents du Mouvement arabe de l’Azawad, initialement membre du CMA alors que le CM-FPR se scindait, laissant apparaître un CM-FPR2… Confusion d’acteurs face à un pouvoir central critiqué pour sa passivité, voire sa mauvaise volonté à appliquer un accord qui dilue ses prérogatives.
Dans le dernier rapport présenté en janvier à New York au Conseil de sécurité, le secrétaire général des Nations unies pouvait alors regretter que « les principales dispositions de l’accord [d’Alger] n’ont pas été appliquées, notamment celles concernant la mise en place d’autorités intérimaires et l’organisation de patrouilles mixtes, et les combats ont repris entre la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et la coalition de groupes armés Plateforme. Entretemps, de nouveaux groupes armés ont demandé à faire partie des arrangements institutionnels et sécuritaires intérimaires. » Autrement dit, pour le malheur de la population locale, le retour des services sociaux de base que les autorités intérimaires sont censées faciliter ne semble pas pour demain.
Une situation loin d’être normalisée
D’autant que l’environnement sécuritaire ne cesse de se dégrader, laissant mal augurer du déploiement des acteurs indispensables (ONG, investisseurs, fonctionnaires…) à l’accomplissement des projets de développement nécessaires pour désenclaver le nord du Mali et ainsi enterrer les frustrations qui alimentent les rébellions. Pour preuve d’une situation encore loin d’être normalisée, le scrutin municipal de novembre 2016 n’a pas eu lieu dans les régions de Kidal, Menaka et Taoudenni, ainsi que dans certaines parties des régions de Gao, Mopti et Tombouctou, « en raison d’atteintes à la sécurité, notamment dans des zones contrôlées par des groupes armés signataires », peut-on lire dans le rapport de l’ONU.
Certes, l’intervention française « Serval » – transformée en force « Barkhane » en 2014 chargée de la lutte contre le terrorisme dans le Sahel –, le déploiement de quelque 10 000 casques bleus, la restructuration (en cours) de l’armée malienne et le lancement des premières patrouilles mixtes armée malienne-ex-rebelles ont permis d’apaiser la situation. Mais ce n’est qu’un apaisement partiel qui concerne, au mieux, les Touaregs et Arabes qui se battaient en 2011 pour la partition du Mali et l’indépendance de l’Azawad. « L’accord d’Alger, résume Aurélien Tobie, se résume finalement à un simple accord de cessez-le-feu qui interdit aux signataires d’aller trop loin. »
Sauf qu’ils ne sont pas la seule menace pesant sur le pays. Celle incarnée par les djihadistes, un moment écartée par le déclenchement de l’opération « Serval », a repris de plus belle alors que le redéploiement des forces armées maliennes au nord patine. Résultat : « Les groupes terroristes et extrémistes violents y [ont] renforcé leurs activités et leur présence », note l’ONU.
Des foyers djihadistes se sont multipliés
« Car depuis “Serval”, les groupes terroristes se sont adaptés », observe Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute. En atteste l’annonce, début mars, de la « fusion » de trois organisations islamistes au sein de Nosrat Al-Islam Wal Mouslimine (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, GSIM) affilié à Al-Qaida. Placée sous l’égide du Touareg Iyad Ag-Ghaly, le chef d’Ansar Eddine, le GSIM rassemble également le mouvement Al-Mourabitoune de Mokhtar Belmokhtar ainsi que la Katiba du Macina, active au centre du Mali et conduite par le Peul Amadou Koufa.
De fait, « Barkhane » ou non, les foyers djihadistes se sont multipliés ces dernières années au Sahel en général et au Mali en particulier. « Et ils ont étendu leur rayon d’action en frappant en Côte d’Ivoire, au Niger, au Burkina Faso », observe Bakary Sambe. Sans pour autant négliger le Mali, où, en janvier, des kamikazes ont tué au moins 77 personnes à l’intérieur du centre de recrutement et d’entraînement des patrouilles mixtes de Gao. « Le Mali, conclut Bakary Sambe, est l’épicentre du djihad au Sahel et le restera tant qu’il demeurera cette zone d’instabilité et d’activités criminelles. » Déjà moribond, l’accord d’Alger risque de ne pas y survivre et le Mali de ne pas émerger de si tôt du chaos dans lequel la moitié de son territoire est encore plongée.