Donald Tusk au Conseil européen, à Bruxelles, le 9 mars. | THIERRY CHARLIER / AFP

Jusqu’au bout, la première ministre polonaise Beata Szydlo, totalement isolée, aura tenté de polluer le sommet européen, jeudi 9 mars à Bruxelles, pour empêcher la reconduction de Donald Tusk, le président (polonais) du Conseil. Les 27 autres dirigeants de l’UE n’ont pas cédé, considérant cette prise de position comme irrationnelle, surtout motivée par la détestation de Jaroslaw Kaczynski, le chef du parti nationaliste conservateur PiS au pouvoir en Pologne, envers son compatriote et ex-opposant.

Même le Hongrois Viktor Orban, qui s’affiche volontiers comme un allié de Varsovie, s’est rangé à la très large majorité. « Je félicite chaleureusement M. Tusk », a conclu la chancelière allemande, Angela Merkel, oubliant ses divergences avec lui sur l’accueil des réfugiés. Personne n’avait envie, jeudi, de donner raison à un gouvernement qui multiplie les atteintes à l’Etat de droit et reste sourd aux mises en garde des institutions communautaires.

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L’épisode a plombé l’atmosphère d’un des derniers conseils avant le déclenchement du Brexit – prévu d’ici à la fin mars. Les Européens voulaient utiliser cette réunion pour faire la démonstration de leur cohésion mais, soulignait le premier ministre belge Charles Michel, « nous ne sommes pas prêts à tout accepter au nom de l’unité ». L’entêtement de Mme Szydlo au mépris de ses intérêts nationaux a d’autant plus irrité que M. Tusk a parfaitement su faire entendre – trop, selon certains – le point de vue des pays de l’Est pendant la crise migratoire de 2015.

La Pologne n’est toutefois pas le seul ferment de la division. Les Vingt-Sept (sans le Royaume-Uni) s’opposent sur les manières de relancer l’Union, fragilisée par le divorce à venir avec les Britanniques. Ils devaient plancher, vendredi 10 mars, sur la future « déclaration de Rome » du 25 mars pour le soixantième anniversaire du traité de Rome. Le débat s’est envenimé après que, début février, François Hollande et surtout Angela Merkel se sont prononcés pour une Europe « à plusieurs vitesses ». 

L’Europe à 27 ? Trop lente

Ce concept, qui date des années 1990, est déjà une réalité : la zone euro, avec dix-neuf pays partageant la monnaie unique, ou l’espace sans passeport de Schengen sont deux gros sous-ensembles. Mais aujourd’hui, Paris et Berlin veulent montrer que, face au danger de délitement de l’Union, il faut pouvoir la réformer, et tant pis si ce n’est pas à 27. « L’essentiel, c’est que l’UE puisse avancer », a insisté François Hollande.

Le signal inquiète particulièrement les pays de l’Est, qui ne veulent pas végéter « dans une Europe de seconde zone », insiste un diplomate du « groupe de Visegrad » (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie). « Si le concept d’Europe à plusieurs vitesses devait conduire à une Union fracturée et réduire la portée du marché intérieur, il serait dévastateur », estime Martin Povejsil, ambassadeur tchèque auprès de l’UE.

« Nous avons peur d’un retour du protectionnisme à l’Ouest », ajoute un autre diplomate. Une grande partie de l’attachement de ces pays à l’Europe est liée au marché intérieur et à ses quatre libertés de circulation – des biens, des capitaux, des marchandises, et surtout des personnes. Ils sont très inquiets des velléités récentes de la France, de l’Allemagne, de la Belgique ou de l’Autriche qui poussent à la révision de la directive sur les travailleurs détachés, estimant qu’elle favorise le dumping social. L’Autriche songe à une forme de préférence nationale.

Malgré la circonspection d’autres pays – Danemark, Benelux –, les dirigeants sont globalement d’accord sur le fait que l’Europe à 27 est devenue trop lente, surtout quand il faut se plier aux règles de la majorité, en matière fiscale par exemple. Mais « le besoin d’unité reste la priorité. Les cercles concentriques ? À condition que cela ne rende pas l’Union encore plus complexe », souligne un diplomate.

Beaucoup doutent qu’il soit forcément plus facile de s’entendre à quelques-uns qu’à 27. Ou que l’Ouest avancerait plus rapidement sans l’Est sur certains sujets. La ligne de fracture est davantage entre Nord et Sud, ou entre sociaux-démocrates et conservateurs, sur des thèmes comme le sauvetage financier de la Grèce ou la finalisation de l’Union bancaire. « Membres fondateurs contre les nouveaux venus de l’Est ? C’est trop réducteur. Sur la fiscalité ou l’harmonisation sociale, les tensions existent avec ou sans le groupe de Visegrad », relève un diplomate.

Le processus des coopérations renforcées a été introduit par le traité d’Amsterdam en 1997. Il rend possible des collaborations entre pays en cercles restreints mais, à ce stade, trois seulement ont été lancées : sur les brevets, le divorce et la taxe sur les transactions financières (TTF). Cette dernière n’est toujours pas entérinée, même si dix pays seulement y participent.

« Aller plus loin » sur la défense

Dans le domaine de la défense européenne, revenu au premier plan, on évoque une « coopération structurée permanente ». Elle vise à fédérer « les pays qui veulent aller plus loin », expliquait récemment François Hollande. Faute de progrès dans ce domaine clé, l’Union se contentera de ressasser ce qu’elle promet depuis près de dix ans. De nombreuses formes de coopération existent déjà, mais la formule « structurée permanente », assortie d’une réelle volonté politique et de moyens financiers adéquats, est plus ambitieuse. Plus contraignante aussi parce qu’elle oblige par exemple – règles juridiques à l’appui – à fournir des troupes combattantes ou à acquérir des matériels indispensables pour les opérations extérieures.

Paris défend un degré d’exigence élevé pour ce projet, ce qui limiterait le nombre de participants ; d’autres capitales veulent impliquer l’ensemble des pays membres. Il sera difficile de concilier ces deux visions. L’Europe de la défense pourrait-elle, dès lors, creuser le fossé entre un groupe de l’Ouest emmené par la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et quelques autres, éventuellement associés au Royaume-Uni comme l’a suggéré M. Hollande, et l’Est, surtout soucieux de maintenir en priorité la protection assurée par l’OTAN ? La discussion sur le fond a été reportée au mois de juin.

Lire la chronique de Cécile Ducourtieux (bureau européen) : « Pour une fois que la Commission posait les bonnes questions... »