Un ours brun dans le parc animalier des Angles, dans les Pyrénées, dans lequel les animaux vivent en semi-liberté. | RAYMOND ROIG / AFP

L’avenir de l’ours reste en suspens en France. Mercredi 8 mars s’est achevée une consultation publique sur un nouveau plan de l’Etat consacré à la conservation de l’ursidé dans les dix prochaines années. Preuve du côté éminemment sensible de la question : plus de 6 000 personnes ont déposé des observations, avis ou suggestions sur ce sujet qui voit s’affronter de longue date les défenseurs et les opposants de l’espèce emblématique des Pyrénées.

Une synthèse des contributions doit être publiée d’ici à une semaine, avant d’être examinée par la ministre de l’environnement, Ségolène Royal. Un texte que les associations espèrent voir fortement amendé. « L’objectif est d’obtenir l’intégration à ce plan de la seule mesure qui permette d’éviter la disparition rapide de l’ours : par le lâcher en urgence de femelles dans l’ouest des Pyrénées. », appelle la fédération France Nature Environnement.

Danger critique d’extinction

Car la population ursine, classée depuis 2009 parmi les espèces en danger critique d’extinction sur le territoire national, n’est toujours pas considérée comme viable. En 2015, date du dernier recensement officiel, le massif pyrénéen comptait 29 ours bruns (Ursus arctos), répartis en deux noyaux disjoints sur une aire totale de 3 800 km2 : 27 individus dans les Pyrénées centrales et 2 dans les Pyrénées-Atlantiques.

« L’urgence concerne le noyau occidental, qui peut disparaître à tout moment, avec seulement deux mâles, dont un âgé de 30 ans, prévient Alain Reynes, directeur de l’association Pays de l’ours-Adet. Quant à la population centrale, elle augmente régulièrement, avec au moins 7 naissances l’an dernier. Mais elle reste fragile et présente un risque de consanguinité. » Pour preuve, 70 % des oursons nés depuis vingt ans viennent du même père, le vieux mâle dominant Pyros.

On est loin, donc, des recommandations de l’expertise collective scientifique menée en 2013 par le Muséum national d’histoire naturelle, qui chiffrait à 250 individus matures l’objectif pour mettre la population à l’abri du danger. Pour y parvenir, les scientifiques s’accordent sur un premier seuil à franchir : une cinquantaine d’animaux, présents sur l’ensemble du massif avec des échanges entre les différents noyaux. « Nous préconisions alors, a minima, un renforcement rapide et simultané de 4 femelles dans le noyau occidental et de 2 femelles pleines dans celui central », rappelle Yvon Le Maho, écophysiologiste (CNRS-université de Strasbourg), qui présidait le groupe d’experts.

Aucun lâcher depuis onze ans

Or, à l’exception de l’arrivée d’un mâle slovène en 2016 du côté espagnol, aucun lâcher n’a été réalisé depuis onze ans par les autorités françaises. Les dernières réintroductions datent de 2006 – cinq spécimens –, après celles de 1996 et 1997 – trois individus. Mais face à l’hostilité des anti-ours, menés par les éleveurs et les chasseurs, qui estiment que la cohabitation est impossible, cette politique volontariste a été mise en veilleuse et ce, malgré la mort de plusieurs animaux. « Le dernier plan de conservation de l’espèce date de 2006-2009. Depuis, les différents gouvernements ont fait traîner le dossier, à coup de discussions, d’audits ou d’études », dénonce Alain Reynes.

A tel point que la Commission européenne a déclenché une procédure d’infraction et mis la France en demeure, en 2012, pour « manquement à ses obligations de protection de l’ours brun des Pyrénées ». Le plantigrade est en effet une espèce protégée au titre de la convention de Berne de 1979 et de la directive Habitat-Faune-Flore de 1992.

« Le gouvernement vient enfin de produire un texte pour satisfaire la Commission, mais il ne contient aucune décision, action concrète, calendrier ou moyen. Tout est renvoyé au prochain gouvernement, regrette Alain Reynes. Le plus gros manque est l’absence d’annonce de réintroduction. »

Le document soumis à la consultation publique – intitulé non pas « plan national d’action » mais « Volet ours brun de la stratégie pyrénéenne de valorisation de la biodiversité 2017-2027 » –, évoque bien les « introductions de nouveaux spécimens » dans le cas où elles sont « nécessaires au maintien d’une dynamique favorable de la population d’ours bruns ». Mais rien n’est précisé quant à leur nombre, leur rythme ou leurs modalités. Le texte indique seulement que les « renforcements doivent être raisonnés et limités » et que la pérennité de l’effectif doit être « assurée prioritairement par son accroissement interne » afin de permettre « la prise en compte progressive de la présence de l’ours dans les activités humaines ».

Budget reconduit à l’identique

C’est là l’enjeu premier du plan : esquisser des pistes pour améliorer la cohabitation entre d’un côté l’ours, « qui fait partie de l’identité culturelle des Pyrénées », incarné dans moult mythes et légendes, et de l’autre la chasse, la gestion de la forêt et le pastoralisme. Sur cette dernière activité, la plus sensible tant les éleveurs restent, dans leur majorité, opposés à la réintroduction de l’ours, le document propose de réaliser une meilleure formation des bergers à la protection contre la prédation, de promouvoir le triptyque « gardiennage, parc de nuit et chien de protection » ou de mettre en place un réseau de médiateurs pastoraux pour proposer des solutions innovantes aux estives les plus exposées à la prédation.

« C’est en grande partie une synthèse d’actions déjà menées et le plan ne prévoit aucuns moyens pour de nouvelles mesures », note le directeur de l’association Pays de l’ours-Adet. Le budget alloué à ce « plan ours » s’élève en effet à 3,4 millions d’euros par an, soit « les mêmes sommes, à l’euro près, que celles déjà dépensées par l’Etat concernant le plantigrade ». Sur cette enveloppe, 75 % sert à financer la cohabitation avec les activités humaines et 18 % est consacré au suivi scientifique et technique de la population. Mais « rien n’est alloué à des actions de conservation ou de restauration. Si ce budget est reconduit dans les dix ans qui viennent, c’est une catastrophe », s’alarme Alain Reynes. Un constat que partage le Conseil national de la protection de la nature, qui a rendu un avis défavorable au plan en janvier.

Stress des troupeaux

Ces propositions « en demi-teinte » ne satisfont pas davantage les opposants à l’ours. « Nous sommes contre l’existence d’un tel plan et contre les nouveaux lâchers. La stratégie pour maintenir des ours dans les Pyrénées a déjà coûté beaucoup d’argent, dans un contexte de crise, juge Rémi Denjean, éleveur membre du bureau de l’Association pour la sauvegarde et le patrimoine d’Ariège-Pyrénées. L’ours nous rajoute des problèmes, sans vraiment profiter à la région. »

S’il reconnaît que les dommages entraînés par l’ursidé restent « faibles » (150 à 200 brebis tuées par an, une tendance stable ces dernières années), le berger juge que ce chiffre « ne tient pas compte des pertes indirectes dues au stress des troupeaux, comme les avortements ». « Chaque brebis tuée est un problème mais l’ours étant omnivore, il peut apprendre à moins les attaquer », assure Alain Reynes, rappelant que 25 000 ovins meurent chaque année dans les Pyrénées de maladies ou d’accidents. Des antagonismes tenaces, à l’image de l’histoire de cet animal tour à tour vénéré et diabolisé.