Des partisans du parti nationaliste macédonien VMRO-DPMNE manifestent contre l’alliance entre les sociaux-démocrates et les partis albanais, qui menace selon eux la souveraineté du pays, à Skopje, jeudi 9 mars. | ROBERT ATANASOVSKI / AFP

C’est peut-être le signe le plus net de la gravité de la crise qui secoue la Macédoine : les pressions occidentales sur ce petit pays des Balkans, candidat à l’entrée dans l’Union européenne, n’y ont plus d’effet. A plusieurs reprises depuis que l’opposition sociale-démocrate s’est proposée de former un gouvernement fin février, Bruxelles, Washington, l’OTAN et des capitales européennes ont appelé Skopje à respecter l’ordre constitutionnel et accepter une transition du pouvoir.

Mais ni la visite sur place, le 2 mars, de la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, ni les inquiétudes réaffirmées par le Conseil européen, les jeudi 9 et vendredi 10 mars, n’ont changé la donne : le pouvoir, emmené par l’ancien premier ministre Nikola Gruevski, refuse de céder. A l’unisson de Moscou, ses partisans dénoncent des ingérences orchestrées tantôt par le voisin albanais, tantôt par le philantrope américain George Soros, dont la fondation, Open Society, soutient des organisations de la société civile macédonienne.

La crise remonte aux élections législatives anticipées du 11 décembre 2016. Organisé grâce à une médiation de Bruxelles et Washington, le scrutin devait permettre d’en finir avec les tensions provoquées par les scandales de corruption à répétition et les accusations de fraudes électorales visant Nikola Gruevski. En dix ans de règne, son parti nationaliste, le VMRO-DPMNE, a mis la Macédoine en coupe réglée, prenant le contrôle de toutes les institutions de l’Etat et de larges pans de l’économie.

Pas de majorité absolue

Seulement, les élections de décembre 2016 n’ont pas consacré de vainqueur clair. Avec seulement 51 sièges de députés sur 120, le VMRO-DPMNE s’est montré incapable de former une coalition de gouvernement. Minoritaires avec 49 députés, les sociaux-démocrates du SDSM, de l’opposant historique Zoran Zaev, ont, quant à eux, réussi à rallier 18 députés issus des partis de la minorité albanaise (25 % de la population). Le 27 février, après que M. Zaev a présenté au président Gjorge Ivanov la liste de ses soutiens, sa désignation pour constituer un gouvernement devait être une formalité.

Deux jours plus tard, M. Ivanov a rendu son verdict : « La Constitution et ma conscience m’interdisent de confier la charge de former un gouvernement à une personne ou à un parti dont le programme prône l’atteinte à la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance de la Macédoine. »

Derrière ce refus, une question sensible : l’accord de coalition passé entre Zoran Zaev et les partis albanais prévoit de faire de l’albanais la deuxième langue officielle du pays, une concession délicate dans un pays encore marqué par les affrontements interethniques de 2001. Depuis les accords de paix signés à Ohrid, cette même année 2001, la langue albanaise bénéficie du statut de langue officielle seulement dans les localités où la minorité albanaise représente plus de 20 % de la population.

« Menace séparatiste »

Les sociaux-démocrates dénoncent un « coup d’Etat constitutionnel » du président, qui chercherait surtout à protéger Nikola Gruevski, son mentor. En avril 2016, Gjorge Ivanov s’était déjà illustré en tentant de faire passer une amnistie préventive pour les responsables politiques menacés de poursuites judiciaires, soit en grande majorité des responsables du VMRO-DPMNE.

La crispation des amis de M. Gruevski à l’idée de lâcher le pouvoir se fait de plus en plus sentir. Depuis un mois, plusieurs manifestations de partisans du VMRO-DPMNE se sont déroulées dans un climat tendu, contre la « menace séparatiste » que représenteraient les Albanais et le danger présumé pesant sur la souveraineté du pays.

Face au blocage, M. Gruevski préconise un nouveau scrutin, pendant que les partis d’opposition ont menacé, mercredi 8 mars, de convoquer le Parlement pour investir un gouvernement sans la permission du président Ivanov. Tombée depuis longtemps dans un trou noir démocratique, la Macédoine prend désormais le risque d’une confrontation entre deux camps de plus en plus irréconciliables.