Favorables au mariage pour tous, opposés à l’administration Trump dans la « bataille des toilettes », les grandes entreprises du Web se sont plusieurs fois engagées en faveur des droits des LGBT. | LeMonde.fr / Quentin Hugon

Comment savoir ce qui préoccupe les leaders du secteur des nouvelles technologies ? Le festival spécialisé South by Southwest (SXSW), qui se déroule chaque année en mars à Austin, au Texas, en est un excellent baromètre. L’intelligence artificielle occupe par exemple des dizaines de conférences, sur les centaines organisées du samedi 10 au mardi 14 mars. Plus étonnant peut-être, du moins à première vue : une dizaine d’autres est consacrée aux LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transexuels). Un sujet jusqu’ici relativement peu présent dans ce type d’événements, notamment concernant la question des trans, mais qui tend à émerger de façon plus nette ces derniers mois dans le secteur.

Et l’actualité récente des grandes entreprises du Web l’a prouvé. A commencer par Tinder qui, en novembre, a décidé d’ajouter des dizaines de genres à son application de rencontres. Désormais, au moment de l’inscription, le choix ne se limite plus à « homme » ou « femme » : l’utilisateur dispose d’une quarantaine d’options, et si aucune ne lui convient, il peut se définir comme il le souhaite. Anecdotique ? Loin de là, expliquait déjà à l’époque Tinder. Les utilisateurs transexuels y étaient victimes de harcèlement et se faisaient souvent bannir de la plateforme, car ils étaient signalés comme nuisibles par de nombreux utilisateurs. « J’étais horrifié », se souvient Sean Rad, le fondateur de Tinder, invité à s’exprimer dans l’une des plus grandes salles de SXSW.

« Quand on a commencé à travailler sur le sujet, on s’est rendu compte à quel point c’était complexe de travailler sur la question de l’identité et du genre, surtout pour une plateforme comme Tinder qui se veut très simple à utiliser. On a essayé, et on s’est dit : “ohlala, nous allons avoir besoin d’aide”. »

« Tout à coup, on n’est plus séparés des autres »

L’entreprise se tourne alors vers GLAAD, une ONG consacrée aux droits des LGBT. « J’apprécie qu’ils soient venus nous voir », souligne Sarah Kate Ellis, à la tête de l’organisation. « Exister dans une plateforme comme Tinder, c’est un énorme pas en avant pour la visibilité des trans, un grand message d’acceptation ». Hochement de tête à sa gauche. Zackary Drucker, femme transexuelle, ne peut qu’approuver :

« Nous vivons cachés. Ces dernières années, il y avait des petites applications de rencontres uniquement consacrées aux trans, c’était assez fidèle à la façon dont nous étions traités en général : à la marge. Mais avec cette décision de Tinder, tout à coup, on n’est plus séparés des autres, on fait partie du monde, et on peut s’identifier tels que nous sommes. C’est énorme. »

Pour elle, « il est important que les entreprises usent de leur influence pour peser moralement ». Surtout par les temps qui courent, laissent entendre plusieurs intervenants, en référence à l’élection de Donald Trump à la présidence américaine. « Quand nos politiques ne nous soutiennent pas, nous devons nous reposer davantage sur les entreprises », estime Sarah Kate Ellis, en évoquant notamment la « bataille des toilettes » qui agite, ces dernières semaines, les communautés LGBT, et dans laquelle ont pris part certains géants du Web.

« Ils auraient pu aller plus loin »

Sean Rad, le fondateur de Tinder, et Zackary Drucker, femme transexuelle, membre de l’organisation GLAAD. | Morgane Tual / Le Monde

Le mois dernier, les départements de la justice et de l’éducation ont annoncé que les transexuels devraient à nouveau utiliser les toilettes correspondant à leur sexe biologique, et non leur genre - remettant ainsi en cause une mesure de l’administration Obama. Ce qui a soulevé de nombreuses protestations, parmi lesquelles celles de Facebook, Microsoft, Yahoo! ou encore Alphabet, la maison-mère de Google. SXSW a enfoncé le clou, punaisant dans ses allées des affichettes clamant « nous nous opposons aux lois discriminatoires comme celles des toilettes », dont il est notamment question au Texas.

« C’est bien », reconnaît Scout, un militant trans spécialiste des questions de santé publique. « Mais ils auraient pu aller plus loin et menacer de ne pas organiser le festival l’année prochaine ; ça représente beaucoup d’argent ». Et pour lui, les quelques conférences en lien avec les LGBT ne sont pas suffisantes. « À peine une dizaine pour 30 000 festivaliers ! Ce n’est pas assez ! », rage-t-il, tout en admettant que les grandes entreprises du Web commencent à s’intéresser à ces questions. « Et cela fait la différence. Quand une grande entreprise dit qu’elle soutient les droits des LGBT, elle crée un mouvement. » Une question de survie pour elles, selon lui : « si vous voulez durer dans le temps, vous ne pouvez pas représenter de vieilles idées ».

Et dans les faits ?

Mais au-delà des idées, qu’en est-il des actes ? « C’est très différent de se dire inclusif et de l’être », tient à préciser Kate Kimpel, avocate spécialisée dans les droits des LGBT, notamment dans le monde du travail. « Les grandes entreprises du Web ont toujours été à la pointe en ce qui concerne les conditions de travail, mais dans les faits, ces entreprises sont surtout composées d’hommes blancs hétéros. »

Une réflexion qui rappelle celle entamée il y a plusieurs années déjà sur la place des femmes dans ce secteur, très minoritaires et souvent victimes de discriminations et de comportements déplacés. Depuis, de nombreuses annonces ont été faites, et des festivals emblématiques comme SXSW mettent désormais un point d’honneur à faire monter sur scène de plus en plus de femmes. Il a fallu pour cela que la Silicon Valley soit confrontée à plusieurs scandales et bruyamment interpellée par des associations féministes pour se réveiller - même si le résultat est encore loin du compte.

Concernant la cause LGBT, les géants du Web avaient déjà fait connaître depuis longtemps certaines de leurs positions, notamment favorables au mariage gay. Mais le harcèlement et les messages de haine à l’encontre de ces communautés prolifèrent toujours sur leurs plateformes, et de nombreux utilisateurs leur reprochent de se montrer trop passifs sur le sujet, malgré leurs discours et leurs bonnes intentions affichées. Et ce qui se passe à SXSW, une fois n’est pas coutume, est bien représentatif du secteur : si le festival a déroulé le tapis rouge à Tinder et son initiative pro-LGBT en lui offrant l’une de ses salles les plus grandes et les plus prestigieuses, le public, quant à lui, n’était pas au rendez-vous.

Qu’est-ce que South by Southwest ?

South by Southwest, surnommé « SXSW », est l’un des plus importants festivals au monde consacré aux nouvelles technologies – mais aussi à la musique et au cinéma. Il se déroule à Austin, au Texas, du vendredi 10 au mardi 14 mars. Plus de 33 000 personnes sont attendues pour assister aux centaines de conférences qui y sont données. Après Barack Obama ou encore Mark Zuckerberg, le festival doit accueillir cette année des personnalités telles que l’astronaute Buzz Aldrin, le « futuriste » de Google Ray Kurzweil ou encore l’équipe de la série Game of Thrones. Pixels suit le festival au quotidien dans une rubrique dédiée, mais aussi sur Twitter et Instagram.